Ma nuit dans un « capsule-hôtel » à Tokyo
La plus grande ville du monde. Et aussi la plus mal connue de la planète.
Au petit matin, je croise les sararymen partant pour le métro Akihabara,
peignés, lotionnés, cravatés, attachés-cases à la main, l’air impassible et
déterminé des combattants de l’économie mondiale. Toujours pas de femme en vue,
sauf celle du réceptionniste. Telle est la règle de cet univers alvéolaire,
futuriste et masculin. On y voit beaucoup de jeunes cadres qui ont raté le dernier
métro, des employés gagne-petit qui préfèrent dormir ici que de passer une heure
et demie dans le train de nuit pour gagner leur lointaine banlieue. Les capseru-oteru
servent aussi de décompresseurs pour les anxieux, obsédés par leur emploi du
temps et leur réunion au bureau le lendemain à l’aube. Arriver en retard au
travail : grave source de stress nippon. Ceux qui n’ont ni femme ni famille
peuvent également goûter aux joies de la capsule. Il y a aussi quelques SDF
habillés comme des chômeurs en complet-veston. Question de dignité :
au Japon on ne montre pas sa déchéance, on la cache. Rien pour se distraire,
hormis des distributeurs de boissons et des jeux électroniques silencieux sur
le palier à chaque étage. C’est tout. C’est fonctionnel. Moins cher que ça,
c’est donc l’Auberge de jeunesse ou la belle étoile. Les clients n’y passent
qu’une nuit, puis repartent à toute vitesse dans cette électro-ville cybernétique
et sans limites. Tokyo est classée en 2001 comme la plus grande ville du monde.
C’est aussi la plus mal connue de la planète.
Difficile de séjourner en touriste dans un capsule-hôtel. C’est d’abord une
formule adaptée à ce pays au travail qui manque cruellement d’espace, une solution
d’hébergement engendrée par le rythme frénétique de la vie dans la capitale.
Impossible d’imaginer un capseru oteru en Europe. À la rigueur dans un
aéroport, et encore ? Dans ma capsule hôtelière d’Akihabara, entre Ueno
et Chiba, je me suis mis dans la peau d’un animal – un chien dans sa niche en
Plexiglas –, dans celle d’un mort-vivant coincé dans un tiroir de morgue, d’une
abeille dans son alvéole, d’un Hibernatus en survie artificielle. Le sentiment
d’être un termite ou une fourmi dans la plus grande fourmilière du monde ne
m’est pas venu à l’esprit. Parce que Tokyo n’est pas une capitale de fourmis,
loin de là. Elle est surpeuplée, certes, mais habitée par des êtres qui savent
rester humains sous des dehors impassibles, et malgré des rythmes inhumains
aux yeux des Européens. Des êtres capables de se plier à des conditions de vie
si étranges, si différentes de la lointaine Europe.
- Introduction
- Les lumières des banlieues s’étendent entre les volcans et le Pacifique
- Les Japonaises ne fréquentent pas ce genre d’établissement.
- Au Japon, la civilisation et la religion ne sont-elles pas originaires des volcans ?
- La plus grande ville du monde. Et aussi la plus mal connue de la planète.
Texte : Olivier Page
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