Ma nuit dans un « capsule-hôtel » à Tokyo
Les Japonaises ne fréquentent pas ce genre d’établissement.
Au 2e étage, je me dirige vers une grande pièce remplie d’armoires
métalliques aussi tristes que fonctionnelles. Comme dans les vestiaires d’une
piscine municipale, c’est ici qu’il faut se déshabiller et ranger ses affaires.
Cet endroit a la froideur anonyme et l’aspect utilitaire d’une consigne de gare
routière : une pièce éclairée par un néon blafard, des hommes impavides
et pressés de dormir. Introduire la clef, tourner la poignée, ouvrir la porte
de la boîte, etc. Peu d’espace à l’intérieur, mais, ô surprise, j’y trouve une
serviette propre impeccablement pliée et un yukata en coton bleu, le pyjama
traditionnel des Japonais, maintenu fermé sur le devant du corps par une ceinture
en tissu. Sans m’attarder, j’entasse pantalon, chemise, blouson de voyage,
chaussettes, ne gardant sur moi que mes papiers, mon passeport, une montre et
les devises.
Des salarymen (le nom japonais des salariés) affairés en font autant.
Aucune femme dans l’hôtel : les Japonaises ne fréquentent pas ce genre
d’établissement. Si c’est le cas, elles dorment dans des « private rooms »
au même prix que les capsules. Je me dirige vers la salle de bains. Les carrelages
brillent de netteté. Des bouteilles, des flacons, des tubes, des savons, des
shampooings, des lotions en tout genre s’alignent sur les étagères, à la disposition
de tous. La salle de bains consiste en une grande pièce tapissée de carreaux
en céramique bleue avec, d’un côté, un grand bassin rempli d’eau chaude et,
de l’autre, une série de douches équipées de jets orientables très puissants.
Là encore, rien ne se s’improvise. La règle d’or au Japon : ne jamais se
laver ni se savonner dans la baignoire commune. La douche sert au décrassage
du corps, tandis que le bain est un lieu de détente, après une journée harassante.
Gare à celui qui ose se savonner dans les eaux de la baignoire ! Ce serait
un sacrilège. Comme dans un hammam oriental, la phase de lavage se passe sous
une douche annexe, chargée d’enlever les impuretés. Pour cela, il faut s’abaisser,
s’asseoir sur un petit tabouret de 20 cm de haut et se frotter avec des éponges
rugueuses. Je siffle, on me regarde de travers. Les Japonais ne sifflent pas.
Je me tais, me lève et fonce sous la douche. Cette fois, c’est la phase de décapage
corporel : je suis debout. Les jets sont si virulents que je me croirais
en cure de thalassothérapie à Biarritz. Je m’immerge enfin jusqu’à la tête dans
les eaux chaudes du bassin, comme un chérubin bienheureux et seul, après une
journée commencée à l’aube à Shanghai, ma dernière escale avant Tokyo.
- Introduction
- Les lumières des banlieues s’étendent entre les volcans et le Pacifique
- Les Japonaises ne fréquentent pas ce genre d’établissement.
- Au Japon, la civilisation et la religion ne sont-elles pas originaires des volcans ?
- La plus grande ville du monde. Et aussi la plus mal connue de la planète.
Texte : Olivier Page
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