Ma nuit dans un « capsule-hôtel » à Tokyo
Au Japon, la civilisation et la religion ne sont-elles pas originaires des volcans ?
Quelques minutes auparavant, un groupe de Japonais
nus avaient utilisé les mêmes lieux, accomplissant les mêmes gestes méticuleux
et délicats. Dans ce pays, ils contiennent la symbolique des rituels de sagesse.
Du bassin, se dégage un puissant nuage de vapeur chaude qui m’enveloppe, me
faisant oublier l’heure. Déjà minuit ! L’eau au Japon a quelque chose de
divin, surtout quand elle vient des montagnes. Se baigner, c’est se purifier
autant le corps que l’âme et retrouver l’âge des nouveau-nés, en se rapprochant
des éléments ancestraux de la terre japonaise. Au Japon, la civilisation et
la religion ne sont-elles pas originaires des volcans ?
Je m’extrais péniblement des eaux fumantes et me rends dans le dortoir. N’imaginez
pas un dortoir d’Auberge de jeunesse. Pas du tout ! Du sol jusqu’au plafond,
les capsules forment un mur de boîtiers rectangulaires empilés. Chaque capsule
mesure 80 cm de haut, 80 cm de large, et environ 2 m de profondeur. Dans cette
salle du 9e étage, grande comme deux chambres d’hôtel standard, 22
capsules se superposent, toutes identiques. On peut calculer rapidement le rapport
espace-chiffre d’affaires. Ont-elles été conçues par un ingénieur de chez Moulinex
(oh, pardon, Hitachi !) spécialiste des fours à micro-ondes ? Même
pas de porte à ouvrir, juste un rideau en lattes de bambou relevé qui se déroule
à l’heure de dormir. Le phénomène « hot-dog » est atténué grâce à
cela. Hormis ce matériau proche de la nature, le reste de l’habitacle est en
plastique. Ma capsule se trouve au niveau du sol : facile d’y entrer, je
me baisse et y pénètre à quatre pattes, comme un chien dans sa niche. « Ouah
ouah » ? On n’aboie pas. On ne saisit pas cet humour ici. Des petites
échelles mènent aux plus hautes capsules. À l’intérieur de l’habitacle, impossible
de se mettre debout, ni même en position du lotus pour méditer. Allongé !
Les dimensions de la boîte ne le permettent pas. Je reste étendu sur le dos
à contempler mon casier formaté pour la fonction sommeil. Qu’est-ce que je fais
là ? Objectif n° 1 : dormir, ou essayer de dormir.
Appeler ça une chambre serait une grossière erreur de vocabulaire. Suis-je
dans la cabine d’une navette spatiale ou un cobaye humain dans un coffre de
laboratoire au service de la science ? En fait, mon boîtier relèverait
plutôt du rayon électroménager d’une grande surface. Je suis bel et bien côté
cuisine, et non côté château. Un tatami, des parois en plastique couleur crème,
quelques rebords plats à droite et à gauche, juste de quoi poser ma montre,
ma pochette et mes papiers. Tel un œil malin sur le monde extérieur, une petite
télévision encastrée dans la structure diffuse des chaînes nippones et parfois
friponnes. En payant avec des pièces, possibilité de voir des films porno made
in Japan, sur un écran de 15 cm. On peut dormir avec le yukata (le pyjama)
ou sans. Ici les jeux amoureux à deux sont défendus. Pour les ébats érotiques,
il y a les Love Hotels. Peu de bruits dans ma capsule. Parfois quelques
ronflements. Les Japonais, d’une politesse maniaque, ont toujours peur de gêner
leurs voisins et d’être mis en faute. Des salariés arrivent vers minuit. Pas
un mot plus haut que l’autre. Ils sortent d’un bar de nuit où ils ont passé
une soirée arrosée au saké avec des copains de travail, en compagnie d’hôtesses
compréhensives. Ils repartent à 5 h du matin. Tout est fait avec efficacité,
dans un souci pratique d’anonymat absolu et d’économie. La nuit est passée
vite, j’ai mal dormi. Ma tête était posée sur une sorte d’oreiller couvert d’un
tissu en coton et rempli de boulettes en je-ne-sais-quoi : un matériau
du 3e millénaire inventé par les cerveaux du Soleil Levant ?
- Introduction
- Les lumières des banlieues s’étendent entre les volcans et le Pacifique
- Les Japonaises ne fréquentent pas ce genre d’établissement.
- Au Japon, la civilisation et la religion ne sont-elles pas originaires des volcans ?
- La plus grande ville du monde. Et aussi la plus mal connue de la planète.
Texte : Olivier Page
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