...Me voici donc rue Lodecka. Une grille en fer forgée, deux cages d’escaliers parallèles au bout d’un long couloir sombre, une cour intérieure lugubre... Et surtout une surprise de taille : sur l’une des boîtes aux lettres, le nom d’Anna Krasova. Dans le roman de Chatwin, la maîtresse de Utz s’appelle Marta Krasova ! Sorti de l’immeuble, je me précipite dans une cabine téléphonique. Le numéro est dans le bottin... Lorsque j’explique à mon interlocutrice que je réalise une enquête sur Rodolphe Just, sa voix change soudainement. Elle semble avoir peur et me raccroche presque au nez.
Je devais en comprendre les raisons un peu plus tard. Filip Marco, directeur de Sotheby's Prague, m’a gentiment accordé une interview dans ses locaux de la rue Rytirska, situés non loin du Théâtre des États. En 2000, Filip Marco et Sebastian Kuhn (Sotheby's Londres) retrouvent la collection de Just, aux termes d’une enquête de deux ans. Rodolphe Just est bien mort vers 1973, comme Utz. Ce que Chatwin ne dit pas ou ne sait pas, c’est que la collection ne s’est pas volatilisée à sa mort. Une partie a été transférée dans un coffre-fort en Suisse et une autre partagée entre les descendants du collectionneur, parmi lesquels son fils... Apparemment moins passionné, celui-ci avait entreposé sa part de la collection dans la cave de la maison familiale. Par une funeste journée de 1997, deux inconnus l'y rencontrèrent, puis le forcèrent à ouvrir la cave pour s’emparer du trésor. Ils kidnappèrent ensuite le malheureux pour l'assassiner froidement dans une forêt de Bohême.
Les autres membres de la famille, qui possédaient aussi une partie de la collection, s’exilèrent alors à Bratislava, capitale de la Slovaquie voisine. C’est dans leur appartement que Marco et Kuhn trouvèrent des centaines de pièces d’or du XVIIIe siècle et d’autres objets de grande valeur. Une fois à Bratislava, la famille Just avait d'ailleurs subi deux cambriolages ! Autant dire qu’ils étaient soulagés lorsque Marco leur proposa de vendre la collection aux enchères de Sotheby's, ce qui fut fait à Londres en décembre 2001 (valeur : 1 400 000 £). Ironie de l’histoire : la famille n'avait jamais entendu parler du livre de Chatwin ! Ce qui n'était pas le cas des voleurs, qui, selon Filip Marco, s'étaient servis du roman de Chatwin pour retrouver la trace de la collection. En attendant, les assassins courent toujours.
Le roi de Bohême, Rodolphe II, avait vu sa collection de tableaux en partie pillée. Le trésor de son successeur éponyme (par le prénom !) devait connaître le même sort. Prague avait déterminé le roman de Chatwin, mais l’écrivain n’aura jamais su que la ville dorée avait aussi influencé la réalité.
 
« Les monuments susceptibles d’être porteurs du sentiment national - l'église Notre-Dame du Týn ou la cathédrale Saint-Guy disparaissaient derrière des façades rouillées. Labyrinthique en temps normal, la ville avait été transformée en un dédale de culs-de-sacs », note Chatwin. Les conditions politiques n'empêchent pourtant pas l’écrivain d'arpenter la ville et de documenter son roman de manière exhaustive.
 
Suivre les traces de Chatwin n’est finalement qu’une course vers un autre trésor que la collection de Just. Ce trésor, c’est Prague ; « Pièce unique », la capitale de la Bohême n’a connu ni les percées haussmanniennes (excepté Josefov) ni destruction majeure (comme Varsovie). Résultat : un véritable musée à ciel ouvert, une ville-collection offrant au promeneur ses passages historiques, ses églises gothiques ou baroques et ses enseignes mystiques. Et si la cité vltavine avait été à Chatwin ce que les porcelaines furent à Utz : objet de fascination ?

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Texte : David Alon

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