À Prague, sur les traces de Chatwin
« Prague était la demeure des géants, en pierre, en stuc ou en marbre... »
Dans Utz, Golem, arlequins de porcelaine et statues pragoises se mélangent
dans un va-et-vient troublant. La ville se met à vivre, inquiétante... Un peu
comme ces statuettes que le cerveau obsédé d'Utz perçoit comme vivantes. Un
peu comme les statues baroques du Pont Charles, premier pont en pierre de Prague.
Selon la légende, ses Hercules de la Contre-Réforme quittent leur piédestal
de pierre au tomber du jour pour entamer une ronde assourdissante et regagner
leur socle à l’aube... « Prague était aussi la demeure des géants, en
pierre, en stuc ou en marbre... » Partout dans la ville, mille yeux
vous scrutent. Ce qui pousse à cette douce parano ? Les atlantes !
Ces êtres de pierre ornent les façades ou les toits des immeubles, supportant
les lourdes architraves des édifices baroques ou bien nichés sur le toit, scrutant
la ville sans pouvoir être vus. Véritable leitmotiv de l’architecture pragoise,
ils furent construits à chaque époque historique, d’où leur diversité, des esclaves
trapus et baroques supportant le Palais Palffy, aux silhouettes longilignes
de style Art Nouveau. Prague est remplie d’êtres vivants. Et si la ville était
elle-même vivante et avait imprimé son ombre au récit ? Bien plus, si son
masque tragique avait déteint sur la réalité ?
Rodolphe Just, le « vrai » Utz, n’a jamais habité le quartier juif,
mais un immeuble situé aux frontières de la vieille ville et de la Vltava. Si
le coin ne présente pas d’intérêt touristique particulier, il pourrait être
emblématique d’une autre Prague : celle de Meyrink (Le Golem, 1916)
ou encore celle de Kafka, un peu plus tard. Une Prague à la fois étrange et
menaçante, dont les maisons sont traversées de couloirs secrets, réplique domestique
des nombreux passages de la Ville.
Texte : David Alon
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