Afrique du Sud, dix ans après

Les aventuriers de Port St John's

Les aventuriers de Port St John's
Olivier Page

L'arrivée à Port St John's est un grand moment de mon voyage. Ma patience est récompensée. Après des heures dans les hautes collines du Transkei, la route descend soudain vers la Wild Coast en décrivant de nombreuses courbes. J'arrive à Port St John's, une petite ville, nichée dans une baie, serrée entre des montagnettes couvertes de végétation tropicale et deux estuaires de rivière qui se jettent dans la mer. Où suis-je ? Dans un comptoir de roman indonésien écrit par Joseph Conrad ? Un lieu de survie pour les rescapés d'un naufrage en mer ? Un petit coin de paradis pour écologistes alternatifs ? Oui, c'est un peu tout ça à la fois. La beauté naturelle du littoral conjuguée à la rudesse primitive d'un lieu oublié, le tout combiné avec les formidables traditions d'accueil des Xhosas.
À l'Outspan Inn, je fais la connaissance de John Costello. Non ce n'est pas le pizzaïolo local ni le cousin d'Elvis, mais un baron irlandais dont la famille (une des plus vieilles d'Irlande) est installée depuis six générations au Transkei. John ressemble à l'acteur Harrison Ford. Jovial, énergique, cet aventurier bien élevé me tend sa carte de visite. Je lis : « Hunting & fishing journalist ». John a plein de cordes à son arc : il exerce le métier d'agent touristique, mais il est aussi guide de randonnée et de brousse, chasseur, plongeur, pêcheur, marin, écrivain et photographe. Cela ne l'empêche pas d'être un fervent défenseur de la nature, et, par donquichottisme, il s'occupe du sauvetage en mer. Il parle couramment le xhosa. Ce « Xhosa blanc » a une poigne d'acier et un cœur d'or ! « Mes employés ne travaillent pas pour moi, mais avec moi. ». Il incarne bien l'esprit de la nouvelle Afrique du Sud.
En fin d'après-midi, je me rends à la cabane de Ben Dekker en suivant un sentier de terre. Ben Dekker habite dans une cabane en bois accrochée au flanc d'une falaise qui surplombe la mer. Chez lui, ni eau ni électricité, aucun téléphone, pas d'ordinateur, encore moins de téléviseur. Il s'éclaire avec une lampe à pétrole et des bougies. Pour se nourrir, il plonge tous les jours dans la mer et pêche des poissons. Pour s'occuper, ce conteur d'histoires écrit des poèmes et des livres. Il a la barbe grise d'un vieux briscard, les cheveux longs et blancs d'un prophète errant, retenus par un bandeau comme à l'époque de peace and love. Son regard bleu acier scrute la ligne d'horizon. Il ressemble à un pirate du XVIIIe siècle, à moins qu'il ne soit une réincarnation de Robinson Crusoé. Il pourrait être le double du mythique Hollandais volant (the Flying Dutchman).
Issu d'une grande et riche famille afrikaner (les Van Gulik), cet ancien acteur sud-africain s'est battu avec ardeur contre le régime d'apartheid. Il a choisi très tôt un mode de vie alternatif et marginal, opposé aux normes parentales. Pour l'état civil, il s'appelle Ben Adolf Dekker. Ben pour Benito Mussolini, Adolf pour Adolf Hitler, car ses parents étaient pro-nazis. Avec un tel héritage, soit on devient fasciste et fou, soit on prend la fuite, et on reste sain et libre. C'est la deuxième option que Ben a retenue. Nomade en rupture du monde sud-africain blanc, il a voyagé et vécu dans plusieurs pays d'Afrique, immergé dans les cultures noires. Curieux de tout, il a appris 28 dialectes africains différents. Sa philosophie de vie ? La philosophie africaine, dans ce qu'elle a de meilleur et de plus humain. Détaché du superflu, Ben vit comme un nouvel Adam, au fil des saisons et au rythme de la nature, bercé par le ressac de l'océan Indien. Si Jean-Jacques Rousseau l'avait connu, il lui aurait décerné le titre de « bon sauvage blanc » ou de « blanc ensauvagé » !
Mais Ben n'est pas un sauvage, ni un misanthrope. Au contraire, s'il aime sa solitude, il ne se sent jamais seul. Il a plein d'amis qui viennent le voir dans sa tanière, et des amies. Sa philosophie, c'est quelque chose comme « ni Dieu, ni maître ». Quand il a soif, le sage sort de sa thébaïde et se rend au bar de la Lily Lodge, qui lui rend hommage car il s'appelle le Ben's Bar. C'est là que l'on peut le rencontrer le plus facilement, si aucun rendez-vous n'a été pris. Ben aime recevoir des visiteurs, mais il ne veut pas être dérangé pour rien. Si vous lui rendez visite, pensez-y. En partant, je m'arrête justement au Ben's Bar de la Lily Lodge. Et la bonne fée du voyage se manifeste : je découvre que la propriétaire de ce petit hôtel s'appelle Mbuyie O'Mahony. Membre de l'ethnie Pondo, cette Sud-Africaine noire a épousé un médecin blanc sud-africain d'origine irlandaise. Enfin un beau et rare symbole de la nouvelle Afrique du Sud multiraciale. « Once a dreams begins, it never ends », ça pourrait être une belle chanson.

Préparez votre voyage avec nos partenaires

Texte : Olivier Page

Mise en ligne :

Les idées week-ends, les derniers reportages

Voyage Afrique du Sud

Bons plans voyage
Afrique du Sud

VOYAGES SUR MESURE
Voyage sur-mesure en Afrique du Sud
CIRCUITS
Circuit Afrique du Sud - Promotions jusqu'à -70%
VOLS
Vols directs vers Québec

Services voyage