Réunion : trek de Mafate au Dimitile, sur les traces des marrons
Elle n’a pas volé son surnom d’île intense. La Réunion est une terre de treks et de randonnées à nulle autre pareille. Sur une petite superficie de 2 512 km², soit moins du tiers de la Corse, les climatologues ont recensé une impressionnante mosaïque de microclimats. En un seul et même trek, il est possible de passer d’une forêt tropicale basse dense à une forêt sèche et venteuse.
On connaît tous les célèbres cirques que l'île de la Réunion abrite, – Mafate, Cilaos et Salazie –, mais bien moins le massif du Dimitile, et pourtant il est indissociable d’une page douloureuse de l’histoire de l’île… Du haut de ces 2 352 m, ce mastodonte a vu défiler de nombreux esclaves en fuite, les marrons, qui avaient choisi de se réfugier dans ses reliefs escarpés. Il tient d’ailleurs son nom d’un des chefs de file.
Lacez vos chaussures, on vous emmène pour une randonnée d’une semaine de Mafate au Piton de la Fournaise en passant par le Dimitile.
Préparez votre voyage avec nos partenairesSur les traces des marrons, ces esclaves épris de liberté...
Le marronnage désigne la fuite des esclaves. Du début de la colonisation, en 1665, à l’abolition de l’esclavage en 1848, la Réunion, appelée alors l’île Bourbon, a été tristement marquée par la pratique de l’esclavage. Si l’île était au commencement une simple terre de ravitaillement pour les colons, ces derniers se sont finalement installés à Saint-Paul en 1665. Sous leur joug, des esclaves, des Malgaches pour la plupart, travaillaient dans les cultures de café, puis de canne à sucre.
Pour fuir des conditions de travail déplorables, certains d’entre eux réussirent à s’échapper pour se réfugier dans les reliefs escarpés et reculés de l’île où ils établirent des villages de fortune. On les appelait les « marrons », venant du terme espagnol cimarron signifiant « sur les cimes ». Une véritable société s’organisa alors, avec dans chaque camp – pouvant compter jusqu’à 60 marrons – des chefs, à l’exemple de Dimitile.
La fuite des esclaves prit de l’ampleur. Du côté des colons, une milice se mit en place pour retrouver les fugitifs. Des bureaux de marronage furent créés dans chaque ville coloniale. Les "chasseurs d'esclaves" avaient pour mission de capturer les fugitifs vivants, afin de montrer l’exemple aux autres. Si le fugitif venait à mourir, le chasseur devait néanmoins rapporter une partie de son corps pour prouver la capture. Cette pratique barbare dura jusqu’à l’abolition de l’esclavage en 1848.
Aujourd’hui, les sentiers tracés par les marrons attirent un public bien plus pacifique que les milices esclavagistes : des randonneurs venus goûter à la beauté des paysages du cœur de la Réunion.
Mafate : une île dans l’île de la Réunion
Jour 1
Totalement isolé, car aucune route n’y mène, le cirque de Mafate fait partie de ces endroits privilégiés de la Réunion. Jean-Marie est l’ancien facteur de Mafate. Aujourd’hui à la retraite, il a ouvert le gîte le Jacquier, avec sa femme, et accueille les randonneurs ayant réussi à se hisser jusqu’à l’îlet (prononcez « ilette ») des Lataniers, un hameau à 600 m d’altitude.
Tout en laissant couler du punch maison dans nos verres, il nous raconte qu’à l’époque où il était facteur, il effectuait 120 km à pied et en trois jours pour acheminer les 15 kg de courrier qu’il portait sur le dos. C’est le seul moyen de se rendre au cœur du cirque, avec l’hélicoptère.
Notre périple a commencé quatre heures plus tôt, à Rivière des Galets. Entassés à vingt à l’arrière d’un pick-up qui bringuebalait de gauche à droite, nous avons traversé une dizaine de ravines avant d’arriver à Deux-Bras, l’une des neuf portes d’entrée dans le cirque de Mafate. Nous avons continué à pied, traversé des gués, avant d’entreprendre 350 m d’ascension pour rejoindre les Lataniers où nous passons la nuit.
Jour 2
Le bruit du rotor nous extirpe du sommeil. L’hélicoptère est le seul moyen de ravitailler les quelque 900 habitants du cirque de Mafate. Ce matin, Jean-Marie reçoit sa commande. Jusqu’à 900 kg de nourriture peuvent être suspendus dans le vide.
Après ce spectacle saisissant, nous prenons la direction de Roche-Plate. Cet îlet fut parmi les premiers refuges de marrons. Les points d’intérêt sont légion sur le chemin : la ravine Grand-Mère peuplée de feuilles songes, l’îlet des Orangers et son adorable école, l’ascension jusqu’à la Brèche, à 1 290 m d’altitude, et la traversée de la forêt de filaos – une plante envahissante utilisée pour retenir les sols – qui rappelle celles du sud-est de la métropole. On prend la mesure de la diversité de l’île.
Après cinq heures, nous arrivons au gîte Libelle. Pascal, notre hôte, nous attend sur son balcon, le regard face aux montagnes qui s’enchevêtrent.
Jour 3
Le lendemain, nous rejoignons Marla, l’îlet le plus élevé du cirque, à 1 654 m d’altitude. Nous longeons le rempart Maïdo qui s’élève à 1 300 m d’altitude. À ses pieds, nous n’en menons pas large. Nos chaussures heurtent les pierres volcaniques qui parsèment le sol, tandis que quelques pailles-en-queue tournoient au-dessus de nos têtes.
Nous arrivons dans le canyon de la Rivière des Galets. Sur le chemin, la tisanerie des Trois-Roches offre de quoi se restaurer et s’hydrater : citronnade, thé glacé, et même des crêpes !
Nous nous aventurons ensuite du côté de la cascade éponyme. Un passage périlleux. Une lave très dure et polie à l’extrême recouvre le basalte du lit de la rivière – qu’il faut traverser prudemment – et se jette dans une faille profonde devant laquelle trônent trois blocs de basalte.
Un spot adoré des Mafatais et des touristes en général qui y élisent domicile le temps d’une sieste ou d’un en-cas. Après une immersion dans une énième forêt de filaos, notre point de chute, Marla, apparaît.
Dimitile : le massif oublié de la Réunion
Jour 4
Ce matin, un bruit connu nous réveille. Aujourd’hui, une randonnée des plus singulières nous attend : le passage du col du Taïbit, à 2 081 m d’altitude. C’est la frontière naturelle entre les cirques de Mafate et de Cilaos. Une randonnée de type alpine avec l’enchaînement de +400 m et -800 m de dénivelé. Le Taïbit fait d’ailleurs parti du Grand Raid, l’ultra-trail mythique de l’île.
De paroles de locaux, les marrons l’ont nommé ainsi pour faire peur aux chasseurs. Allez savoir. Une chose est sûre : la plupart des noms de reliefs portent celui d’un marron ou d’un combat qu’ils ont mené. Arrivée à la cime, dernier coup d’œil sur Marla et descente en flèche dans la forêt tropicale dense et humide pour atterrir sur la route d’îlet à Cordes menant à Cilaos. 400 virages plus tard – que l’on effectue en navette –, nous sommes au pied du Dimitile.
Jour 5
Le départ pour le sommet du Dimitile se fait à l’Entre-Deux, depuis le sentier de la Grande Jument. D’ici, nous devons grimper 1 300 m de plus pour l’atteindre. Au fur et à mesure que l’on monte, nous sommes littéralement enveloppés par un épais brouillard ou peut-être sommes-nous juste au-dessus des nuages qui sont très bas. La végétation est dense, humide et certains passages sont vertigineux.
Après 3 h de marche, la brume se dégage et un grand plateau émerge. Nous sommes arrivés au sommet du massif. Un ancien camp marron a été reconstitué à cet endroit. Visite.
Jour 6
Ici, pas d’hélicoptère pour nous tirer du sommeil. Le bon vieux réveil fera affaire, mieux, l’odeur des tartines grillées et du beurre qui fond dessus. Il faut se donner les moyens de ses ambitions. Le sentier du jour est à cheval sur deux massifs : celui du piton des Neiges (3 071 m d’altitude) à gauche et celui du piton de la Fournaise à droite – quand le temps veut bien le laisser voir.
Nous descendons, empruntons des crêtes desquelles on peut apercevoir Cilaos en contrebas et Grand Bassin. Nous empruntons ensuite des échelles, il y en a une dizaine sur le chemin. Parfois elles montent, parfois elles descendent. Le spectacle est saisissant.
Le « volcan » : dernière ascension vers le piton de la Fournaise
Les chaussures pleines de boues sont tellement lourdes que l’on peine à avancer. Après deux jours d’immersion totale, nous sortons progressivement du massif. Jusqu’à Mare à boue – qui porte bien son nom –, nous étions en plein cœur d’une forêt dense et humide.
Suit la boue, beaucoup de boue, et nous voilà maintenant au cœur d’une prairie du nom de Plaine des Cafres. Quelques vaches nous accueillent en meuglant. Elles n’ont pas l’habitude de croiser beaucoup de randonneurs, tant le massif est méconnu. D’ailleurs, nous n’avons croisé personne. Nous passons la nuit chez Jean-Raymond à Bourg-Murat.
Jour 7
Dernier jour sur l’île. Impossible de la quitter sans entreprendre l’ascension du piton de la Fournaise que l’on nomme familièrement « le volcan » ici. Un volcan qui est l’un des plus actifs du monde... Culminant à 2 631 m, il fait partie des sujets de conversation favoris des Réunionnais avec les requins et la route du littoral. Le volcan s'est réveillé à plus d'une vingtaine de reprises au cours des dix dernières années et encore récemment.
Pour le rejoindre, nous traversons la Plaine des Sables. Nous nous garons sur le parking jouxtant le site. La descente vers le volcan commence. Car, pour rejoindre le Piton de la Fournaise, il faut d’abord descendre l’enclos.
Quelques centaines de mètres avant d’arriver au pied du volcan, nous passons devant le Formica Leo, un petit cône volcanique sur lequel il est préférable de ne pas monter, car il s’affaisse d’année en année sous les pas des nombreux touristes.
Nous commençons ensuite l’ascension du piton. Nous avons déjà plus d’une demi-heure de marche dans les jambes, mais ce n’est rien par rapport à ce qui nous reste à gravir jusqu'au pic.
L’ascension commence. Nos pieds foulent tour à tour les roches volcaniques en « bouse de vache » et celles plus craquantes en « croûte de pain ». Sous notre passage, ces témoins de l’activité fréquente du volcan dévalent tout ce que l’on vient de grimper.
Après plus de 2 h de montée, nous voilà au sommet. Les jambes tremblantes, et la vue, inoubliable, comme récompense. L’enclos dans le dos, l’océan en toile de fond, et, sous nos pieds deux cratères actifs. Nous longeons les cratères, immortalisant toutes ces images saisissantes, et décidons de redescendre.
Sur le chemin du retour, de grandes bulles craquelées attirent notre attention : ce sont des grottes de lave. Les terrains de jeux favoris des spéléologues – qui ont d’ailleurs laissé leurs échelles. Lampes frontales sur la tête, nous descendons dans les entrailles de la Terre. Notre visite la plus insolite.
Fiche pratique
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Office du tourisme de la Réunion
Comment y aller ?
Air Austral, compagnie basée à la Réunion, propose 10 vols directs par semaine au départ de Paris. Trouvez votre billet d’avion.
Où dormir ?
Hôtel des Neiges : 1, rue de la Mare à Jonc. 97413 Cilaos. En plein cœur du cirque de Cilaos, entouré de montagne, un hôtel familial avec une architecture créole. Idéal pour faire une pause revigorante entre deux treks. Chambres spacieuses et confortables et piscine chauffée. E-mail : reservation@hotel-des-neiges.com
Avec qui randonner ?
Il est possible de randonner seul, du moins sans guide sur l’île de la Réunion. Néanmoins, certains passages délicats (sur crête, au bord des cascades, lors des traversées de rivières, etc.) nécessitent vigilance et parfois même la connaissance du terrain. Terres d’Aventure propose 16 voyages à la Réunion : six circuits accompagnés, deux voyages en familles et huit voyages sur mesure. À partir de 2 340 € pour découvrir le massif du Dimitile et 2 490 € pour le cœur de Mafate (vol, transferts, guide et pension complète, hors boissons, inclus).
Visiter le camp des marrons
Le capitaine Dimitile : au sommet du massif du Dimitile, un camp de marrons a été reconstitué. On en apprend davantage sur l’histoire des fugitifs, les grands noms, l’organisation de leur société, les matériaux qu’ils utilisaient pour construire leurs camps, etc. Entrée : 2 €.
Texte : Maeva Zabner
Mise en ligne :