Ban Na
Nous voici donc partis avec Viengkam pour une marche facile , avec un petit sac à dos pour 2 nuits. Nous quittons Nongkhiaw par une route en terre battue. Une fois quitté le bourg et les dernières habitations, nous bous enfonçons dans cette jolie campagne, à notre gauche une colline boisée, à notre droite une petite rivière et, au-delà, des champs.
En chemin on s’arrête auprès d’une grotte, qui servait d’abri pendant la guerre. C’est l’occasion pour Viengkham de nous parler de ce que les laotiens appellent « la guerre oubliée ». Le Laos, qui abritait de nombreux communistes combattant aux côtés des Viet Congs, a lui aussi beaucoup souffert : une pluie de bombes s’est abattue sur son sol, mais de manière moins médiatisée que pour le Viet Nam. Une guerre civile a éclaté, opposant les communistes à la monarchie institutionnelle installée lors de l’indépendance, soutenue par les occidentaux. L’ethnie Hmong a majoritairement pris fait et cause pour la monarchie et les occidentaux. Ce sont les communistes qui l’ont emporté, causant l’exil de milliers de Hmongs dont certains se sont réfugiés en Guyane française, où la communauté Hmong est très présente.
Au total, on compterait près de 500 000 morts, soit 15 à 20% de sa population d’alors ; aujourd’hui encore on continue à déminer des zones où les munitions enfouies constituent un grand danger pour la faune mais aussi les paysans, et particulièrement les enfants.
Le temps de parler de cette guerre, et nous voici quittant la forêt pour déboucher sur une vaste zone agricole. Ce sont des rizières, d’ailleurs « Ban Na », le village où nous allons, signifie « le village de la rizière ». En cette saison, c’est sec et jaune, mais que cela soit être beau au sortir de la saison des pluies !
Le paysage est néanmoins charmant ! Nous traversons les champs, croisons de nombreuses vaches et buffles. Une rivière chante et serpente aux pieds des collines.
Nous arrivons à Ban Na. La première maison est celle de Mama Kham, notre logeuse.
Mama Kham est une femme de 70 ans, et c’est une entrepreneuse ! Elle tient de main de maître sa guesthouse, aidée de sa belle-fille. Son fils est le chef du village (élu, comme un maire) et son mari, autrefois lui aussi chef, est chaman, dans ce village dont les habitants sont animistes.
La « salle commune » est une terrasse couverte permettant de contempler le paysage, de lézarder dans des hamacs ou de papoter avec d’autres hôtes. La bière n’est pas très fraîche mais c’est normal car l’électricité publique ne vient pas jusqu’au village, chacun la produit à l’aide de petites turbines placées dans la rivière ; toutes les maisons ont au moins une de ces turbines, ce qui explique les fils partant de la rivière vers le village ! Une turbine permet d’éclairer, mais il en faut plusieurs pour d’autres équipements.
On se sent immédiatement bien ici.
Le jour tombe, les vaches et les buffles sont de plus en plus nombreux.
Ce soir, la compagnie sera joyeuse. Parmi les hôtes que nous avons croisés, en majorité de jeunes européens (français, italiens, allemands) je ne résiste pas à l’envie de vous présenter Margot et Louis, un jeune couple extraordinaire. Après avoir mis de côté tout leur argent pendant 3 années, ils se sont lancés voici deux ans et demi (maintenant, en janvier 2024 cela fait 3 ans et demie) dans un voyage autour du monde en stop : la règle est qu’ils ne paient aucun trajet (et ils essaient au maximum de loger dans leur tente ou d’être hébergés). Ils ont un compte instagram : « onemap2bags », je vous conseille d’aller y faire un tour. Ce qui les intéresse ce sont les gens qu’ils rencontrent, par le biais de l’autostop (et du cargo-stop), et ils en font des portraits. Tout d’abord, je dois vous avouer qu’avec ma vie de quinqua bien établie j’ai jeté sur eux un petit regard condescendant, mais très vite j’ai changé d’avis : ce sont des optimistes mais pas de doux rêveurs, ils sont acharnés, durs au mal, courageux, extrêmement bien organisés et entreprenants (pour obtenir un passage gratuit sur un cargo il faut mener une véritable campagne marketing), ils savent aller vers les autres et nouer le contact, ils ont appris à écouter leur intuition. Je les admire et les estime au plus haut point. En février dernier, ils en étaient à la moitié de leur voyage. Depuis, ils ont changé de mode de locomotion, en se mettant au vélo, en vue de leur traversée de l’Amérique du Nord puisque le stop est interdit aux USA. Ensuite ils reprendront le stop ! Petit détail : la maman de Louis est là, elle les a rejoints au Laos pour 3 semaines, et adopte le même mode de voyage. Depuis, je les suis grâce à Instagram, ils terminent en ce moment leur traversée des USA.
Voici aussi le lien pour les suivre sur Polarsteps :
Tiens, ce 19 janvier 2024 ils viennent d’arriver à Mexico après 1222 jours de voyage, 45 pays traversés et des milliers de personnes rencontrées !
Cette nuit, nous avons eu un bel orage. J’ai été réveillée par les coups de vent précédant le grain, et pluie s’est mise à tomber, comme un épais rideau… Heureusement, les tôles tiennent bien, nous sommes au sec !
Il y a juste qu’à un moment, avec toute cette eau qui tombe, je suis prise d’une irrépressible envie de faire pipi. Après une longue attente, la pluie se calme, et je me décide à prendre la lampe torche … il me faut traverser la cour boueuse et glissante, je manque de m’étaler de tout mon long à plusieurs reprises… bon, OK, c’est ma plus grande aventure
Le lendemain, le soleil est de retour. Une brume enveloppe les rizières et les collines, c’est magique.
Tout a reverdi en une nuit, et c’est le cœur léger que nous partons nous balader avec Viengkham, pour aller jusqu’à un village voisin. Les chemins sont un peu boueux, ainsi que les champs qu’on traverse … c’est de la belle terre glaise qui colle super bien aux semelles
Nous croisons plusieurs personnes qui ramassent des grenouilles et des escargots. Nous voyons aussi des personnes dans les rizières, avec des pelles ou des pioches : ils ramassent des crabes des rizières. Ce soir, les marmites vont bouillonner et une odeur de crabe chatouiller les narines !
Dans le village voisin, notre guide papote à droite à gauche. Nous avons passé de très bons moments avec lui ! Il rit beaucoup, avec nous, avec les personnes qu’il croise ; je vous ai déjà dit qu’il a le chic pour engager la conversation (ce qui est le propre des bons guides). Nous nous arrêtons auprès d’hommes qui fabriquent eux-mêmes leurs carabines : ils taillent une crosse dans une larme de parquet fixent un tube en acier puis un mécanisme avec gâchette, qu’ils ont achetée. Un peu plus loin, on fait des machettes, puis nous croisons un chasseur qui revient avec un coq sauvage. Viengkham le lui achète, il va offrir ce coq à Mama Kham et sa famille.
Ce soir, la soirée sera à nouveau très gaie … Il ne vaut mieux pas compter les petits verres de law-law (alcool de riz) qui ont circulé… en même temps, on est en février, le dry january est passé
Le lendemain, nous partons après le petit déjeuner.
Une petite parenthèse se referme, j’éprouve un pincement au cœur et un certain regret de ne pas pouvoir aller plus au nord, et passer plus de temps dans des endroits à l’écart des sentiers touristiques. Si nous étions des voyageurs « sac à dos », avec la liberté de changer nos plans, je crois que nous aurions alors décidé de renoncer au sud du pays. Mais l’impro ce n’est pas pour nous, de toute manière cela nous filerait en permanence des sueurs froides (alors que pour d’autres je comprends bien que ce soit un frisson de plaisir). Le tout c’est de se connaître !
Nous rejoignons Muang Ngoi Kao, pour reprendre notre bateau puis la voiture jusque Luang Prabang. Après avoir retrouvé notre voiture à NongKhiaw, nous arrivons à Luang Prabang en milieu d’après-midi. Demain, nous prenons l’avion pour Paksé.
Prochains posts : le sud, Champasak, les 4000 îles et le plateau des Bolovens.