Week-end alternatif à Budapest

Andrássy 60 : la terreur stylisée

Andrássy 60 : la terreur stylisée
Claudio Tombari

Devant le musée de la Terreur, au n° 60 de l’avenue Andrássy, celle qu’on appelle les Champs-Élysées de Budapest, une foule de lycéens venus de toute la Hongrie attend sagement sous un soleil de plomb. Depuis le 24 février 2002, date d’ouverture du musée et journée du souvenir des victimes du communisme, la curiosité des Hongrois est attisée tant par les controverses autour de l’événement que par la volonté de renouer avec un passé proche et douloureux. Les lycéens, leurs professeurs et moi, nous formons l’un des premiers groupes à y accéder. Dans un anglais assez approximatif, quelques jeunes filles essaient de m’aider à comprendre ce qui m’attend, étonnées, peut-être, qu’un étranger puisse s’intéresser à leur pesant héritage d’obéissance et de délation. Ces murs gris « milice ouvrière », couronnés d’une toiture où se découpe le mot « terror » sont les témoins des atrocités commises par les polices secrètes des deux régimes totalitaires qui occupèrent le pays pendant plus de quarante-cinq ans. La fière allure des gardiens qui font passer les formés par petits groupes vous met déjà en situation pour ce qui va suivre. Une musique funèbre accompagne les premiers pas du visiteur et de ses compagnons d’infortune ; une stèle noire avec une croix fléchée et, à côté, une autre en marbre rouge, mais étoilée cette fois, donnent le ton. En passant à la caisse, vous êtes pointé par le canon d’un symbolique char T-54 – le modèle utilisé après l’insurrection hongroise de 1956 – en même temps que les regards désemparés des victimes vous percent à vif depuis le gigantesque mur métallique couvert de photos.

Le tour va durer environ deux heures, le tout accompagné par des guides qui vous accueillent et vous conduisent tout droit au deuxième étage d’un immeuble ayant la plus sinistre réputation du pays. Ordonnés, sobres et solennels, les adultes qui encadrent les jeunes vacillent entre l’émoi et l’indignation en faisant leurs premiers pas dans cet édifice où l’on a décidé le cruel destin de leur nation pendant un demi-siècle. Conçu comme une véritable leçon d’histoire pour les étudiants, la visite est en V.O. magyar, donc peu de chances pour un néophyte de s’en sortir sans l’aide du petit baladeur qu’on récupère gratuitement à la librairie. Ce petit bijou électronique existe en version anglaise et allemande et – véritable sésame pour les non-initiés – il s’active en franchissant chacune des pièces. Mais dans cet espace interactif et très high-tech, le commentaire de la speakrine virtuelle s’avère peu efficace face à la bande son qui rythme les entrées et sorties de chaque chambre : vocifération de discours nazis et soviétiques, murs de télévisions diffusant les témoignages des victimes, postes de radio criant les mots de la propagande politique, lourdes portes en fer qui se ferment… dans cet univers multimédia on ne sait pas où donner de l’oreille et de l’œil ! L’horreur et la laideur ont été revisitées par le design et devant toute cette misère stylisée on ne peut que rester perplexe. On s’interroge sur le fait que la plupart des salles soient consacrées aux crimes commis par le parti et que la Hongrie sous le fascisme ne soit montrée que très sommairement au début de l’exposition ; s’agira-t-il d’un choix quantitatif et qualitatif de par la durée du régime communiste qui s’est accompagné d’un regain de violence plus voilée et plus sourde ? Le programme des architectes, designers et historiens ayant travaillé à ce projet, semble certes très théâtral, mais clair : créer un lieu de mémoire hautement symbolique avec une nouvelle mise en scène des objets ayant appartenu à cette période tragique. Je me demandais si les jeunes étudiants de mon groupe allaient succomber à l’aspect un peu gadget de l’exposition, mais leurs visages fermés m’ont vite fait comprendre qu’ils prenaient tout ça très au sérieux. Car les vrais objets et témoignages sont devant vos yeux : les larmes de ceux qui racontent le goulag ; les uniformes à la croix gammée pendus aux murs ; les vêtements des juifs déportés ; les copies des procès-verbaux qui tapissent murs et fenêtres ; les multiples portraits de Staline, Lénine et Rákosi, le très stalinien chef du gouvernement hongrois ; le bureau du bourreau Péter Gábor, chef de la police politique ; la ZIS noire avec ses sièges damassés en rouge, voiture emblématique de Nikita Khrouchtchev, et, enfin, ces omniprésents téléphones en bakélite qui, en descendant vers le sous-sol, perdent subitement leur cadran… Les caves du 60 avenue Andrássy sont le règne du silence : on défile devant les cellules des torturés, celles couvertes d’eau, celles où l’on ne tient que debout… Sous ces régimes de terreur, on risquait la détention et la torture sans raison. En arrivant – la gorge serrée – à la salle des potences et du souvenir des exécutions, on cherche désespérément la sortie, l’air commence à manquer, par les fenêtres condamnées, on aperçoit un brin de soleil et on songe à ces prisonniers qui connurent ces abîmes jusqu’en 1985.

L’immeuble investi par les deux dictatures du XXe siècle vaut la visite pour plus d’une raison. À chacun d’y trouver la sienne : désir de connaissance, devoir de mémoire, simple voyeurisme… L’horreur des crimes politiques, même stylisée et mise au goût du jour, est toujours aussi difficile à oublier et à pardonner. Pour plus d’informations sur ce musée hors du commun, consultez le site www.houseofterror.hu.
Pour y aller : métro ligne 1, station Vörösmarty utça, ou les tram 4 ou 6 jusqu’à l’Oktogon.
Entrée : 1 000 forints, soit 4,07 € pour les individuels, 300 forints, ou 1,22 € pour les groupes de plus de dix personnes.

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Texte : Claudio Tombari

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