Flandres : au pays des estaminets
Dans l’estaminet le plus haut de Flandres
Au Kasteelhof, au sommet du mont et de la ville de Cassel (173 m !),
on affiche complet. Le week-end, quand tout le monde est servi en carbonnades
flamandes (bœuf bourguignon à la bière), pot’je vleesch (pâté aux trois
viandes), lard fumé sur planche, ou autres plats typiques, Manu raconte des
légendes locales ou universelles qu’il transpose invariablement dans sa région.
« Il y a 100 000 ans, cinq mètres de neige recouvraient la
plaine au pied du mont Cassel… »
Une clientèle variée, jeunes, étudiants lillois en goguette, mais aussi
des familles du coin sur trois générations, des enfants jouant avec des jouets
en bois, des touristes de passage, tous partagent la chaude convivialité qui
émane de cette grande pièce offrant dans la journée une vue imprenable sur la
plaine flamande, avec sa cheminée crépitante, ses bouquets de houblon, ses grands
paniers d’osier et ses ustensiles d’antan.
Manu a repris ce vieil estaminet il y a plusieurs années, il en a fait un écrin,
où l’on peut boire, manger, acheter des produits de la région. Ou écouter les
histoires qu’il raconte avec une joie communicative en laissant errer son regard,
par les jours de beau temps, jusqu’à la mer du Nord.
« C’est la longue nuit de Noël, et le petit Karl pleure. »
Manu pleure aussi, mélange flamand et français, prend des accents, imite
le vent, les cloches, jusqu’aux rictus des sorcières. Des parfums régionaux aux bulles de la bière, jusqu’à la pénombre même,
réchauffée par les dizaines de bougies, tout ici est flamand, intemporel, comme
un tableau de Breughel.
« Karl, c’est le sonneur de cloches de Cassel. Et s’il pleure, c’est
que personne ne vient lui souhaiter Joyeux Noël. Alors, le pauvre Karl, il vend son âme au diable en échange de dix années
de jouissance.»
Manu en fait des tonnes. Dans la salle, les conversations se sont tues, tout
le monde écoute. Le temps est suspendu. C’est tellement bon enfant que ça devient
suspect. À la fin du conte, Karl se joue du diable, qui, furieux, se met à taper
du pied sur le sol flamand. Les yeux de Manu pétillent de contentement devant
son auditoire captivé.« Et de ce martèlement démoniaque seraient nés la Cordillère des Flandres
et le mont Cassel où nous nous trouvons aujourd’hui. »
Applaudissements ! Les conversations, les rires et les chopes reprennent
leur course entre les tables.
Texte : Laurent Boscq
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