Siphandone : les quatre mille îles du Mékong
Quelques traces des folies du passé
Certaines îles, un peu plus grandes, abritent quelques villages. Don
Det et Don Khon, sœurs siamoises malgré elles, en font partie.
Les bateaux accèdent à la rive près du hameau de Muang
Khong, où aborda également la première expédition
française dans cette région du Laos.
En s'éloignant du village de Ban Khon, on entend au loin les bouillonnements
du Mékong. Au sud-ouest de l'île de Khône, le fleuve s'agite
en d'étonnants remous qui viennent se précipiter sur les rochers
noirs, soulevant à plusieurs mètres une brume d'embruns opalins.
Les chutes de Li Phi, la « nasse aux fantômes » en langue lao,
rend la navigation impossible… Devant une telle fureur des flots, on conçoit
aisément l'effarement des premiers explorateurs de la « Mère
des Eaux ». Pour Doudart de Lagrée et ses compagnons, un rêve
s'est brisé ici : celui d'utiliser le fleuve comme voie commerciale entre
la Chine et le port, alors français, de Saigon.
Pour contourner le problème, on construisit un chemin de fer long de
quatorze kilomètres, qui contournerait les écueils et les rapides.
La ligne, édifiée en 1920, débutait sur l'île de
Khône, puis rejoignait un embarcadère en béton édifié
sur l'île de Det, d'où le voyage en bateau pouvait se poursuivre.
Comme trait d'union entre les deux îles, on bâtit un pont long de
150 m et large de 3 m, sur lequel les douze wagons du train circulaient aisément.
À Don Khône et à Don Det, il ne reste plus grand-chose de
ce prestigieux passé. Quelques maisons coloniales plus ou moins en ruine
et des morceaux de fer et de bois éparpillés çà
et là, utilisés pour construire de petits ponts, des barrières.
Et puis, cette rencontre surprenante avec une vieille micheline à vapeur,
immobilisée depuis 1940 sur ses rails rouillés et dissimulée
par une végétation tropicale luxuriante… Enfin, un pont magistral
qui, de ses jambes épaisses, franchit tranquillement le fleuve.
Aujourd'hui, la nature a repris ses droits et de la voie ferrée ne subsiste
que le tracé, un long chemin qui traverse les îles, sillonnant
entre les rizières.
Texte : Laurence Pinsard
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