La question que tu poses est une problématique éternelle, qui ne date ni de la photo ni des réseaux sociaux.
Quand on allait en Égypte, en Grèce, en Chine ou au Pérou il y a 3 ou 4 siècles, était-il légitime d’en rapporter des trésors d’art ou d’architecture, sachant qu’ils seraient certes beaucoup mieux préservés et admirés dans nos pays occidentaux que dans leurs pays d’origine, mais que, d’une certaine manière, on les “volait” quand même, même si les populations locales n’avaient ni la conscience, ni la technique, ni les moyens financiers, ni l’envie de protéger et préserver ces trésors?
Avoir rapatrié ces trésors auBritish Museum ou au Louvre a, dans bon nombre de cas, très certainement empêché leur disparition, leur destruction, ou leur appropriation privée. Mais en contrepartie, pour pouvoir les admirer, leurs anciens “propriétaires” (les populations locales) doivent venir à Londres ou à Paris…
Pourtant, ces pratiques ont de tous temps été approuvées par les autorités scientifiques et morales les plus hautes, et ce, dans tous les pays: à l’époque, les Égyptiens pillaient les Nubiens, les Indiens pillaient les Birmans, et les Chinois pillaient les Cambodgiens, pour ne donner que quelques exemples…
En photogaphie, on n’emporte rien de matériel, mais bien souvent, si on ne shoote pas avant de demander l’autorisation, on se prive de la spontanéité de l’instant, de l’attitude, du geste, qui ne reviendra jamais plus (ou alors dans plusieurs heures, ou le lendemain, et les photographes en vacances n’ont pas le loisir d’attendre…). “Voyeurisme” est un mot un peu fort, mais il est vrai que nous capturons parfois des instants à l’insu des personnes concernées.
Cela dit, ne nous faisons pas non plus trop d’illusions: nous ne sommes pas de nouveaux Stanley et Livingstone, les sentiers sur lesquels nous marchons sont des sentiers largement battus, les populations indigènes que nous côtoyons ont été côtoyées par des millions d’autres nous et savent parfaitement à quoi s’attendre, et par conséquent, la nature et la portée du “vol d’images” en question, pour autant qu’il y en ait un, est très réduite… La marchnde sur son sampan à propos de laquelle tu t’interroges dans ta démarche bien scrupuleuse et politiquement correcte, t’a vue venir bien avant que tu ne la voies, elle t’a jaugée, elle a repéré la taille (et probablement la marque) de ton appareil-photo, elle a compris la nature et le sens de tes regards bien avant que tu ne remarques sa présence, et elle sait à 90% si, en plus de la prendre en photo, il y a une chance que tu lui achètes quelque chose… et pour maximiser ses chances commerciales, elle va prendre la bonne attitude, l’attitude “pittoresque” qui va te charmer, t’attendrir, te laisser croire que tu as saisi un instant unique, et donc te donner envie, pour “remercier”, de faire le petit geste d’achat qui est la seule chose que cette petite marchande a en tête depuis que tu es entrée dans son monde…
Désolé si je détruis quelques illusions au passage.
Moralité? À moins de se trouver en face d’une situation à propos de laquelle on a des doutes, ou d’être dans un contexte où, à l’évidence, il n’est pa souhaitable de photographier, on shoote d’abord, et on remercie après. On ne demande la permission avant que si la scène ne risque pas d’en souffrir dans sa spontanéité —et il est vrai que, la plupart du temps, ladite scène est tellement peu spontanée (en dépit de l’impression qu nous, occidentaux, pouvons en avoir) qu’elle ne perdra pas grand-chose à être “rejouée”, pour ainsi dire. Elle y gagnera même peut-être, les acteurs étant meilleurs.
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