Le sacre de Graz
Graz, capitale masochiste
Si l’art et la culture sont partout dans la ville, la ville elle-même est art
et culture. Il suffit pour s’en assurer de monter en haut du Schlossberg, la
falaise qui domine le centre-ville, là où se dressait la forteresse des princes
de Styrie, détruite par l’armée napoléonienne : le dessin des toits de
tuiles, le dédale des rues pavées, la silhouette arrondie des clochers - le
panorama vaut le détour et, pour les assoiffés par la montée (il y a aussi un
ascenseur), le café qui surplombe le vide sert une excellente bière. Le programme
des festivités pour cette année 2003 accorde aussi une large place aux
enfants du pays. Comme le jeune artiste styrien Markus Wilfing qui a créé, à
côté de la célèbre tour de l’horloge (Uhrturm, emblème de la ville), une réplique
en acier noir, son « ombre » en trois dimensions. Les habitants de
Graz, enchantés, demandent maintenant que cette deuxième horloge reste en place.
Mais la vraie star de Graz, c’est l’écrivain Léopold Sacher-Masoch, initiateur
un peu oublié du mouvement masochiste. Entre 1845 et 1895, il vécut
à Graz où, avec sa femme Wanda, il explora et enrichit à sa manière l’œuvre
du marquis de Sade. Il est à l’honneur jusqu’à la fin août, avec une grande
exposition volontairement provocatrice (et interdite au moins de 18 ans),
le « festival Sacher-Masoch » dans la Nouvelle Galerie du centre-ville.
Que les esprits rangés se rassurent, il ne s’agit pas de faire étalage des perversions
en tous genres, mais plutôt d’évaluer l’influence artistique et sociale de la
pensée masochiste au cours du XXe siècle. Car, de Salvador Dali
à Larry Clark, le SM et ses pratiques - fétichisme, flagellations, mutilations -
a inspiré les arts. La qualité de l’exposition tient du fait qu’elle ne laisse
pas le dernier mot au spectaculaire et au salace, tout en ne censurant rien ;
on a donc l’ambiguïté d’un « Cycle de Vénus » signé Picasso, la volupté
d’un Helmut Newton avec cette pièce rococo recouverte de miroirs, mais aussi
le choc d’un mur consacré aux « Sataniques » de Félicien Rops, et
l’accumulation déroutante d’épreuves en noir et blanc où les femmes sont en
cuir et les hommes à leurs pieds. Comme les philosophes ont également adoré
cette relecture de la problématique hégélienne du maître et de l’esclave, on
trouvera donc, à Graz, des références à Michel Foucault, le théoricien du pouvoir
et à Gilles Deleuze, celui du désir. Le festival Sacher-Masoch est le premier
du genre dans le monde. Les organisateurs du programme « Graz 2003 »
en ont fait volontairement l’un des événements majeurs de l’année.
Texte : Hélène Kohl
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