L'élimination
Auteur : Rithy Panh avec Christophe Bataille
Editeur : Grasset
336 Pages
« Les Khmers rouges, c'est l'élimination. L'homme n'a droit à rien. » Telle est, plus de trente ans après la fin du régime de Pol Pot, la définition qu’en donne, dans L’élimination, le bourreau khmer rouge Douch. La dictature sanglante de Pol Pot, qui a appliqué à la lettre un programme totalitaire d’éradication des inégalités sociales, a fait 1,7 million de morts au Cambodge.
Le cinéaste Rithy Panh (Les enfants de la rizière ; S-21, la machine de mort khmère) avait 13 ans quand les Khmers rouges sont entrés dans Phnom Penh, le 17 avril 1975. Sa famille, des intellectuels francophones, se retrouve parmi les ennemis du régime. C’est le début d’un cauchemar, pour les siens comme pour ses compatriotes.
Les soldats de Pol Pot exilent les habitants de la capitale vers les campagnes pour les « rééduquer ». Travail forcé, camps de concentration, tortures, famine : les Khmers rouges déshumanisent les individus, avant de les éliminer en masse, au nom de leur délire idéologique de pureté communiste.
Avec des mots simples et justes, Rithy Panh retrace cette interminable saison en enfer. En quelques semaines, il perd son père, sa mère, ses sœurs, sa famille. Lui, il parvient à survivre, souvent grâce à sa ténacité et son courage, parfois par chance. Jamais il ne cède au désespoir. Avant de mourir, sa mère lui a dit : « Il faut marcher dans la vie, Rithy. Quoi qu’il arrive, tu dois marcher. » Mais les plaies laissées par la tragédie khmère ne se refermeront jamais. Comment le pourraient-elles ?
« J'ai vu des choses qu'il est impossible d'oublier. J'en rends compte ici pour une raison simple : il faut comprendre et se souvenir », confie Rithy Panh. À ses terribles souvenirs se mêle le récit de la confrontation du cinéaste avec Douch, le directeur du centre de détention S-21, où 12 380 personnes furent éliminées.
Rithy Panh traque les silences de Douch, recueille ses confidences sybillines. Il se heurte à la froideur du « camarade interrogateur », à son apparente ( ?) absence de remords, mais aussi à son ambivalente humanité. «Douch est un homme qui pense », écrit Panh, au terme d’un fascinant jeu du chat et de la souris. Un monstre, ce serait encore trop simple…
L’élimination est un ouvrage essentiel sur le totalitarisme, au même titre que Si c’est un homme de Primo Levi ou L’espèce humaine de Robert Antelme. Plus que le bouleversant témoignage d’un survivant, Rithy Panh livre une admirable méditation, ni désespérée, ni amère, sur le dévoiement de l’idéologie, le Mal et la condition humaine. Un très grand livre.
Texte : Jean-Philippe Damiani
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