Je connais gens de toutes sortes
Auteur : Philippe Labro
Editeur : Gallimard
343 Pages
« Je connais gens de toutes sortes / Ils n'égalent pas leurs destins. » Philippe Labro a emprunté quelques vers à Apollinaire pour le titre de son dernier livre, un recueil de « portraits » et « rencontres » publiés dans les années soixante-dix et quatre-vingt dans Vogue, Le Point et Le Monde. Relire ses textes après des décennies passées est un exercice périlleux, tant la prose journalistique au contraire d’un bon vin, souvent ne se bonifie pas avec le temps. L’auteur de Manuella offre donc au lecteur en postface de chaque texte ses notes de relecture, souvent pertinentes, jamais complaisantes. Certaines sont même complémentaires au texte originel, comme ce dîner chez Lipp avec Romain Gary, raconté brièvement en deux feuillets en 1979 et dont les réminiscences avec le recul apportent un nouvel éclairage, voire de l’inédit. Cet effort de mémoire nous donne ici la plus lumineuse leçon d’écriture exprimée par un conseil de Gary à l’élève Labro : « Fais comme les bons écrivains, écoute, observe, et tout ce que tu auras retenu vaudra la peine d’être cité, le reste, c’est du journalisme, donc, c’est du provisoire. Ne retiens que l’essentiel ».
Philippe Labro revit aussi ce jour du mois de novembre 1963 à Dallas où il croise l’étrange regard de Lee Harvey Oswald, l’assassin présumé de J.F. Kennedy. Il reconstitue également les derniers jours de son mentor, Hemingway, croisé vingt ans plus tôt sur un champ de courses à Auteuil. Il reproche à Woody Allen sa boulimie filmographique, raconte sa fidèle amitié avec Jean-Pierre Melville et son impuissance quand le cinéaste meurt devant lui à la table d’un restaurant parisien. Au fil des pages, les portraits se succèdent, souvent attachants, parfois surprenants et inattendus comme ceux de Jean-Paul Goude, Jean-Jacques Goldman ou du regretté Jean-Patrick Manchette dont l’agoraphobie le condamnait à vivre en reclus en plein Paris. Des « gens de toutes sortes » qui au final, malgré leurs différences se dévoilent sous la plume de Labro dans leur humanité commune.
Texte : Jean-Luc Bitton
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