1. Georges Simenon
  2. Préparatifs de voyage
  3. Double choc : l'Afrique et l'Europe de l'Est
  4. A la découverte des grands espaces
  5. Pour en savoir plus

Double choc : l'Afrique et l'Europe de l'Est

1932 - " L'Afrique vous dit merde "

Grosse affaire que le voyage de Simenon en Afrique équatoriale. En 1932, soit un an après la grande Exposition Coloniale du bois de Vincennes, l'écrivain va voir de plus près les prodiges réalisés par la République française chez les " nègres " - ce voyage inspirera Coup de lune, roman publié en 1934. Sans attendrissement, ni pour les Africains, ni pour les Européens, il raconte à sa manière une sorte d'enfer dans L'Heure du nègre. Mais d'abord, le voici qui aborde Port-Gentil :

" C'était un dimanche matin et le ciel et la mer, très tôt, avaient des couleurs de beau dimanche quelque part sur la côte de France, en Bretagne par exemple. Mon cargo avait jeté l'ancre dans la rade et l'eau était limpide, sans une ride, d'un bleu pâle, autour de nous.
Quant à la côte, c'était d'abord la ligne blanche du sable, puis les trônes interminables des cocotiers et leur panache retombant en fusée du ciel. Derrière, quelques toits rouges, une jetée de bois, des pirogues indigènes : Port-Gentil ! "

Il pose ensuite pied-à-terre et cherche un café où boire un verre, comme on le fait dans n'importe village français, le dimanche. Changement d'optique :

" La rue c'est, dans le sable, une large bande de ciment d'un blanc si cru qu'il est impossible de le regarder sans lunettes. Pas une tache d'ombre. On marche. On sue. On sent brûler sa nuque. Et, après cinq minutes, je me demandais si j'arriverais vivant. Ma vision se troublait. Des choses indistinctes passaient entre les objets et mes prunelles. Je haletais, la chemise détrempée et j'avais si chaud qu'à certain moment cela se confondait avec une sensation de froid, du froid équivoque de la fièvre.
J'ai atteint le café quand même, un café bâti en planches, volets fermés, noyé d'ombre.
Le dimanche matin au village, n'est-ce pas ?
Des tables, des chaises, un comptoir. Une femme jolie, au visage maquillé, vêtue de soie blanche à travers laquelle, quand elle passait dans la lumière, je voyais ses longues cuisses nues.
Les mêmes yeux fatigués que le bagnard [rencontré le] matin. La même lassitude, la même indifférence.
- Qu'est-ce que vous prenez ? "

Ah oui, qu'elles sont jolies les colonies ! Simenon raconte ces Blancs partis en Afrique à la poursuite de rêves forcément déçus. Des demi-soldes de l'aventure assez minables, de jeunes employés modèles qui deviennent fous, des administrateurs sans scrupule… À ces portraits peu flatteurs des Blancs ne correspondent cependant pas des tableaux glorifiant les autochtones. Simenon les regarde de loin, ne dîne pas avec eux, ne se lance pas dans de longues conversations en leur compagnie. Il décrit quand même leur calvaire, en se rendant par exemple sur le chantier du fameux train Congo-Océan déjà visité par Albert Londres : " Un Noir par traverse ; un Européen par kilomètre " résume-t-il. En fait, pour lui, le problème c'est le continent lui-même :

" Le maître, le vrai maître, celui qui conduit le troupeau à peau noire et à peau blanche, les bêtes et les plantes, c'est l'Afrique ! "

Peu avant de partir en reportage, Simenon avait été frappé par le slogan " L'Afrique vous parle " affiché dans tout Paris, lequel incitait à aller voir le film La Croisière noire qui retrace les péripéties d'une expédition Citroën. Il s'empare de la formule et en fait le sous-titre de son récit en la prolongeant : " L'Afrique vous parle : elle vous dit merde ! ".

1933 - Chez les Blonds, chez les Bruns, chez les Rouges

Délaissant sa Ginette, Simenon a fait construire un cotre de 10 m sur 4, nommé Ostrogoth. En 1928, il passe son brevet de capitaine au long cours et va caboter dans les mers du Nord. Il raconte ses Escales nordiques en 1931 et les Pays du froid en 1933. Cette même année, il parcourt l'Europe continentale. Ce qui lui donne l'occasion de croiser Hitler dans l'ascenseur de son hôtel berlinois. Si le romancier jouisseur ne se fait pas trop prier pour raconter la vie des palaces, il évoque également le destin de voyageurs moins vernis que lui. Dans Cargaisons humaines, Simenon décrit les passagers de troisième classe d'un paquebot, ceux qui partent chercher une meilleure vie ailleurs. Avant d'aller interviewer Léon Trotski, alors en exil sur les rives du Bosphore, il va voir Les peuples qui ont faim :

" Voilà six mois que je parcours l'Europe, en reporter, dans tous les sens, du nord au sud et de l'est à l'ouest. Au début, je ne savais pas ce que je cherchais. Je voulais voir. J'ai admiré la Norvège et ses fjords, le Danemark et ses syndicats, la Hollande riche et à peine inquiète ; j'ai rencontré Hitler et assisté aux défilés des nazis ; j'ai aperçu Mussolini et visité les nouvelles usines d'Italie.
Puis un beau jour, comme je m'approchais de l'est, j'ai rencontré la faim. "

La veille d'embarquer pour l'URSS, il dîne avec la patronne d'un restaurant stambouliote. C'est une Russe exilée qui tente en vain de lui faire comprendre ce qu'il va découvrir. Simenon se taille le portrait de telle manière qu'il fait dire à la " grosse dame blonde " : " Mais vous ne comprenez donc rien, imbécile ? ". Il arrive à Odessa. À l'opéra d'Odessa, il assiste à un spectacle. Sur scène, de gros figurants grimés en nobles de cour évoluent :

" Je regarde les visages. J'ai un malaise. Je sens quelque chose d'anormal, d'inhumain. Et soudain je m'écrie :
- Mais ils ont tous de fausses joues, de faux ventres, de faux seins, de fausses fesses ! (…)
Il fallait des gros et l'on n'a pas trouvé de gros ! On a faitdes faux gros ! "

Simenon est abasourdi. Sa superbe de flâneur défrayé en prend un coup devant ce qu'il voit dans les rues d'Odessa et des autres villes qu'il visite chaperonné par des " traductrices " du Guépéou, la police politique de Staline. Plus d'ironie :

" Je me suis juré de ne pas m'intéresser aux idées, d'être un opérateur, rien d'autre, un fabricant d'instantanés (…) Suis-je parvenu, malgré la déformation professionnelle, à ne pas faire de littérature ? Je le souhaite et je voudrais continuer. "

À plusieurs reprises, il observe les misérables qui errent dans les rues, affamés :

" Il y a d'anciens fermiers, d'anciens propriétaires, mais aussi une majorité d'anciens pauvres types.
Mais que voulez-vous faire d'un pauvre type illettré qui ne comprend rien à Karl Marx et qui retournait son champ à la bêche ? À plus forte raison s'il était musulman, ou catholique, ou orthodoxe, ou s'il brûlait de la chandelle devant les icônes !
Ça vit où ça peut, comme ça peut. Il y a du travail pour tout le monde, mais pas pour ceux qui n'ont rien compris à la révolution, ni aux principes de la standardisation.
Il n'y a pas besoin de ces sauvages dans un monde nouveau. Alors, à quoi bon les nourrir ?
D'ailleurs, il y en a qui ont encore de l'or, de vieux bijoux ou des pièces. Ils avaient la religion de l'or ces paysans ! Ils en ont caché ! Comme ils n'ont pas de carte de pain et qu'il faut qu'ils mangent, l'or sortira… "

Décidément, Simenon aura toujours préféré les faits aux considérations humanistes ou idéologiques !

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