Bonjour,
Merci pour cette contribution qui change agréablement des horaires de train Bangkok-Chiang Maï et qui m’a fait tout de même un peu rigoler. “Souffrance, fatigue, pas d’Internet, ne manger que végétarien”, je me demandais si ces bon bonzes (esquimaux, chocolat) n’en faisaient pas un peu beaucoup pour impressionner les farangs. Les bonzes que je vois autour de moi ont tous leur smartphone, mangent du poulet ou du porc comme tout le monde (et pas en cachette), n’hésitent pas à écraser un moustique qui les agace et n’en fichent pas une rame. D’ailleurs la plupart sont obèses, et pas vraiment fatigués à la fin de la journée. Un bon job pour buller, en Thaïlande, c’est moine bouddhiste.
Ceci s’explique évidemment par l’obédience du monastère. Il faut savoir qu’en 1833, sous le roi Rama IV (Mongkut, celui d’Anna et le roi avec Yul Brynner, film toujours interdit dans le royaume), la communauté monastique s’est scindée en deux ordres (deux “nikaya”) : le Maha Nikaya et le Dhammayuttika Nikaya (ou tout simplement Dhammayut). Ici, d’après les photos, il s’agit d’un monastère dhammayut (même si l’on reconnaît quelques moines de l’ordre Maha Nikaya). Ce sont les moines dhammayut, et notamment Mun Bhuridatto, qui ont créé dans les années 1900 le “Saï phra pa naï prathet thaï”, le mouvement des “moines des forêts”, dont se réclame ce monastère. Méditation, stricte observance des textes, retour aux sources mêmes du bouddhisme “pré sectaire”, utilisation systématique de la langue pali, etc.
Pour reconnaître au premier coup d’œil un bon bonze Maha Nikaya d’un bon bonze Dhammayuttika, c’est très facile, les deux bons bonzes ne sont pas emballés de la même façon. Les bons bonzes Maha Nikaya ont une épaule nue, les bons bonzes Dhammayuttika se couvrent les deux épaules.
Les différences ne se bornent évidemment pas à l’habillement, à la façon de porter le bol à offrandes ou aux dates de certaines fêtes religieuses qui diffèrent d’un jour ou deux selon les obédiences. Le mouvement Dhammayuttika, d’influence môn, se veut plus strict dans l’observance de la doctrine, mais aussi plus “aristocratique”, plus élitiste, et plus conservateur, voire réactionnaire. Il est très minoritaire en Thaïlande, les statistiques de 2018 du Ministère de l’Éducation donnaient le chiffre de 264.442 moines relevant du Maha Nikaya et 34.138 dépendant du Dhammayuttika Nikaya (chiffre qui est en hausse depuis ces vingt dernières années, il faut le noter). Mais, même si les deux ordres semblent cohabiter assez harmonieusement, une lutte acharnée les oppose dans les coulisses, notamment pour le contrôle de la “sangha”, la communauté monastique. L’ordre Dhammayuttika est un ferme soutien de la royauté et des élites, alors que l’ordre Maha Nikaya est plus proche du peuple, et souvent plus impliqué dans la critique sociale et politique. C’est pour cela d’ailleurs que le poste de patriarche suprême, chef de la communauté monastique, est régulièrement confié à un moine dhammayuttika. Disons, pour simplifier d’une manière très caricaturale et hasardeuse, que le Dhammayuttika serait plutôt chemise jaune, pro-royauté, et le Maha Nikaya plutôt chemise rouge, pro-démocratie.
Mais que cela n’empêche pas les adeptes qui le souhaitent d’aller passer quelques jours de “fatigue et de souffrance”, de privation et de régime riz-haricots-salade dans ce monastère qui, heureusement, ne reflète pas la pratique ordinaire plutôt “cool” et bon enfant du bouddhisme thaïlandais. Si ça ne fait pas de bien, ça ne peut pas faire de mal, comme disait ma mère-grand.
Cordialement.