L'adieu aux navires

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La famille Conrad en 1908 - Droits réservés - Collection privée Gilles Brezol

À Bruxelles, il décroche un étrange engagement grâce à l'entremise d'une lointaine parente par alliance… Marguerite Poradowska, née Gachet, est la sœur du médecin et ami de Van Gogh. La " chère tante " prend le jeune Polonais-Anglais sous son aile. Riche bourgeoise, veuve d'un politicien belge, Marguerite, fameuse dilettante, est elle-même auteur de romans populaires, édités à la librairie Hachette, à Paris. Outre l'influence apaisante qu'elle exerce sur ce " neveu " sauvage, elle lui obtient, grâce à ses relations, un emploi de marin d'eau douce au Congo. Conrad devient capitaine d'un steamer en loques, Le Roi des Belges, qui exécute des navettes sur le fleuve entre Léopoldville et les chutes Stanley. Expérience déprimante. À trente-trois ans, le marin doute de sa vocation… Malade, épuisé, il prend en horreur les colonisateurs belges : " Ils recrutent leurs "lanciers" sur les trottoirs de Bruxelles et d'Anvers, parmi les souteneurs, les sous-offs, les maquereaux, les petites frappes et les ratés de tout bord ", écrira-t-il. Affaibli par des crises violentes de paludisme, il rentre à Londres en 1891. Là, il est hospitalisé. Désespéré, d'une santé désormais chancelante, sans argent et sans avenir, il s'engage à bord du Torrens pour deux voyages australiens. En 1893, il fait des adieux définitifs aux océans.

L'aventure littéraire

La maladie lui laissera bien peu de répit pour écrire. Conrad souffre de la goutte - l'alcool… -, de fièvres paludéennes, de rhumatismes articulaires et de dépressions sans fin. En désespoir de cause, désargenté, seule l'écriture lui permettra de survivre. Le 24 avril 1894, il achève La Folie Almayer et signe Joseph Conrad pour la première fois. La littérature française, ses lectures de Maupassant, de Daudet, les souvenirs, les rencontres passées, les mille destins croisés lors des longues escales, les récits entendus sur les quais des ports d'Asie et de Méditerranée peuplent ses songes. Dès son premier livre, H.G. Wells voit en lui " l'un des plus grands romanciers contemporains ". En 1896, il épouse Jessie Emmeline George, une jeune employée de bureau. Un coup de tête plutôt qu'un mariage d'amour. Et Conrad écrit, tel un forçat. Alors qu'il pense en français, il s'efforce peu à peu d'écrire en anglais, une langue qu'il étudie en autodidacte. En moins de vingt ans, il va composer une œuvre majeure de l'histoire de la littérature. Pour le prix Nobel de littérature, l'Argentin Jorge Luis Borges, il est " l'étrange bienfaiteur ", l'écrivain capital, plus grand même que Cervantès. L'épopée, ce nerf du romanesque, n'est-elle pas au cœur de son œuvre ?

Textes courts, romans brefs et romans-machines se succèdent. Conrad s'inspire des événements de son temps, ainsi de l'anarchisme, de l'impérialisme, mais il transmue ce réel dans les dilemmes de l'être humain confronté à la trahison de ses idéaux et à la nécessité d'une rédemption morale. Avec Jeunesse, en 1898, le personnage de Marlow apparaît dans l'œuvre. Conrad écrit sans relâche, déménage souvent des maisons qu'il loue dans le Kent, se rapprochant toujours plus de ses amis et voisins, Henry James, Cunninghame Graham, Wells, Ford Maddox Ford.

Lord Jim, une histoire courte, devient peu à peu un énorme roman : " Je suis vieux, malade, endetté, mais dernièrement, j'ai découvert que je pouvais encore écrire - ça vient ! ça vient ! -, et me voilà jeune, vaillant et riche ! ". En 1903, il a quarante-six ans quand il entreprend l'immense Nostromo, l'un de ses chefs-d'œuvre, écrit en huit mois seulement. À partir de 1906, prématurément usé, il séjourne à Montpellier. La France méridionale lui manque, la Méditerranée le hante. Il s'y repose de plus en plus souvent. Rudyard Kipling salue alors la publication de ses souvenirs, Le Miroir de la mer, qu'il tient pour " un diamant ". Ce n'est qu'en 1911 que l'écrivain, père de deux garçons, connaît un peu d'aisance financière. Grâce à l'édition des romans à New York. Alors, les Français Paul Claudel, André Gide, Valery Larbaud, Maurice Ravel et Paul Valéry lui rendent visite. Ses romans paraîtront sans discontinuer dans la NRF de Gaston Gallimard.

En 1921, les Conrad traversent la France en automobile ; ils séjournent un trimestre à Ajaccio. Les dernières œuvres de l'écrivain seront " françaises ". Avec notamment Le Frère-de-la-côte, dont l'argument se déroule sur la côte varoise, tout près du golfe d'Hyéres. C'est un succès commercial sans précédent.

Le 3 août 1924, le " gentilhomme polonais " Joseph Conrad meurt dans sa propriété d'Oswalds, Kent. Il repose au cimetière de Cantorbery.

La vie, les choses

Conrad moraliste :
" La nature humaine est ainsi faite qu'une certaine dose de sottise s'y mêle toujours à une certaine part de bassesse. " Une Victoire.

Conrad marin :
" Je ne puis imaginer pire châtiment éternel pour d'indignes marins qui mourraient sans repentir sur cette mer terrestre, que de voir leurs âmes condamnées à servir à bord de fantômes de navires désemparés, dérivant à jamais sur un océan fantastique et déchaîné. " Le Miroir de la mer.
Ou encore : " De toutes les créatures qui vivent sur la terre ou sur les eaux, seuls les navires ne se laissent pas prendre aux faux-semblants ; ils ne s'accommodent pas de l'art insuffisant de leurs maîtres. "

Conrad voyageur :
" Il est des voyages qu'on dirait faits pour illustrer la vie même et qui peuvent servir de symboles à l'existence. On se démène, on trime, on sue sang et eau, on se tue presque, on se tue même vraiment parfois à essayer d'accomplir quelque chose - et on n'y parvient pas. " Jeunesse.

Alain Dugrand

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