Le vieux registre des archives

Avant de repartir, le capitaine Korzeniowski signa le registre maritime de Port-Louis le 20 novembre 1888. Ce registre toujours conservé aux Archives nationales de l'île Maurice, n'est pas consulté fréquemment. Nous l'avons retrouvé sur place, enfoui sous des kilos d'archives poussiéreuses, grâce à la diligence d'une charmante archiviste mauricienne. À la vue de ce document original portant plusieurs fois son nom écrit de sa main, tout admirateur de Conrad ressent quelque chose de particulier. Quelques lettres noires sur un registre vieux de plus de cent dix ans suffisent à l'envol de l'esprit et de l'imagination. C'est la magie des archives. On remonte dans le temps. On a vraiment l'impression que Conrad est encore dans cette pièce, attendant de son air sévère d'être délivré de cette formalité avant de reprendre la mer. Celui qui allait devenir quelques années plus tard Joseph Conrad, un des géants de la littérature mondiale, a laissé sa signature sur le petit livre des marins et dans le grand livre des écrivains. Tracée d'une écriture ample et décidée, cette signature impétueuse est à l'image de ce capitaine artiste. Et l'Otago quitta Port-Louis le 22 novembre, à destination de Melbourne, emportant dans ses cales, comme le prouve le registre que nous avons eu en main, 347 tonnes de marchandises dont une tonne de mélasse (du sucre en fait) et 40 livres de thé (il est toujours délicieux). Un détail amusant, le registre précise : " no guns ", pas d'armes !

Un sourire de la fortune

De son séjour à l'île Maurice, Joseph Conrad n'a écrit qu'un seul texte : Un sourire de la fortune, histoire de port. Il s'agit d'une longue nouvelle, autrement dit un petit roman où l'île apparaît sous le nom de " perle de l'océan Indien ". C'est un des romans les moins connus de Conrad. Comme la plupart de ses livres, ce récit romancé est autobiographique. C'est en cela qu'il est intéressant. Contrairement aux préjugés, Conrad n'a pas écrit que des histoires d'hommes, de bateaux et de marins. Voici une brève histoire sentimentale dont l'héroïne est une femme troublante qui ne sort jamais de chez elle, " la captive du jardin éternellement irritée ". Selon F.R. Karl, le capitaine Korzeniowski fréquenta, en même temps que les sœurs Renouf, une autre jeune fille qui se serait prénommée Alice. Ce serait celle-ci qui aurait servi de modèle à l'héroïne de son roman.
Le livre raconte une idylle sentimentale extrêmement originale entre le capitaine en escale et Alice, la fille illégitime qu'un respectable agent maritime de Port-Louis a eu avec une pétulante artiste de cirque. Le capitaine est violemment attiré par cette belle silencieuse qui vit telle une autiste, recluse dans la maison de son père. Indolente, insolente, méprisante, mais séduisante, elle fait naître chez le capitaine un " désir obscur " (au sens freudien du terme), " un sentiment étrange ", mi-tendre, mi-pervers. Le narrateur devient ainsi l'esclave de cette passion peu ordinaire où se rencontrent deux êtres aussi antinomiques que l'eau et le feu. Comment peut-on saisir avec si peu de mots les mystères et les méandres de l'âme humaine quand celle-ci s'aventure dans la jungle du désir ? Moralité, selon Conrad : il est plus facile de dompter le vent d'une tempête que de capturer le cœur d'une femme…

Olivier Page

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