Les trois appartiennent à la même holding ? pas le temps ce soir d’aller lire de l’espagnol
à l’heure qu’il est, notre amie Cécilia hurle certainement à travers le combiné après un employé impuissant d’eDreams qui rentrera chez lui harassé et à son tour criera de plus belle sur sa petite amie qui le lendemain matin passera son humeur sur un client de fast-food lui-même excédé par le temps d’attente s’en prendra plus tard à l’agent de police le verbalisant pour non respect d’un stop, ce dernier au point du jour finira dans un vieux bordel à hurler de rage sur une fille de peu, qu’il est flic et que la loi est la loi et que sa colère est saine parce que sa matraque est molle et la fille y mettra bien du sien mais tout restera mou comme une escalope, et il lui chauffera les oreilles, parce qu’il a payé d’avance, et qu’il veut serrer la poigne à Saint Pierre… qu’à cela ne tienne, quand elle rentrera chez moi, elle me tournera le dos dans le lit, délacera mon bras d’elle, et ce sera une autre couche de déprime sur moi, alors j’irai me réchauffer un vieux fond de cafetière, je tirerai mon ordinateur de son rêve, enfoncerai un à un mes doigts sur les touches qui écriront routard.com et je passerai alors ma rage, celle de la terre entière, sur le CM de Ryanair, cacique rasé de près à l’astrologie radieuse, celui-ci se déchargera sur ses subalternes, et par effet de domino, cela provoquera un remous causal, qui suivant le caprice de son cours, finira par atteindre un inconnu totalement étranger au litige, le même qui, par colère rentrée et maladresse malheureuse, fera dégringoler un vase d’hortensias sur la maquette presque achevée d’un pont promettant de relier dans cinq années la nationale 10 à Buckeye en franchissant la Gila River, contournant ainsi la ville de Phoenix. Le projet repoussé, un chauffeur routier de Leddax Cie conduisant un camion chargé de conserves de Hareng, se fera inéluctablement prendre dans les embouteillages et fera halte au Morning Glory café, où il rencontrera un travesti dans tout son lustre, cela finira comme dans le dernier des romans de gare. Consumés par un amour excessif et violent, ils décideront sur un coup de tête de s’envoler pour Paris, prendront un billet à un prix exagéré, l’amour n’ayant pas de prix, ce qui aura pour effet d’annuler, selon les algorithmes du site eDreams, le billet du passager qui avait trouvé un prix d’appel pour permettre à sa mère de visiter Paris, avant qu’elle ne fane d’un cancer de l’œsophage. Et les tourtereaux en vacances, décidant de prolonger leur séjour, opteront pour une chambre d’hôtel moins onéreuse mais dotée d’une literie de qualité, aussi détacheront-ils bien les syllabes lorsqu’ils répéteront ces mots à la préposée de l’accueil… qui parlera à peine l’anglais, mais arrivera à interpréter les mimiques. Ils demanderont à visiter la chambre pour s’assurer que le quatre pieds sur lequel ils vont s’ébattre, sera de solide facture. Vous dire la zizanie qui rythmera les journées de la chambre 126, d’où les ahanements traverseront les cloisons, parce que la chair d’un homme pour un autre homme est un interdit formidable. C’est ainsi que Mariposa, en déplacement à Paris pour affaires avec des spéculateurs miniers arrivant d’Amsterdam par le vol Easyjet 2765 qui accuse trois heures vingt sept de retard et éjacule ses passagers renfrognés qui respirent enfin une bouffée de téléphone portable, c’est ainsi que Mariposa demande à son mari si les enfants sont en pyjama et se sont brossés les dents, à quoi le bon père de famille, qui s’apprête à finir la soirée en face d’un honnête plat congelé et d’un porno renouvelant le genre, acquiesce, au moment où les amants de la 126 intensifient leurs coït, et que le ramdam du lit qui cogne le mur éveille l’attention du mari de Mariposa, elle-même inquiète du foyer sismique grandissant. Bientôt des cris en haut du registre jettent le froid dans la conversation, et le mari n’en tenant plus expectore sa jalousie dans des phrases dont l’univocité n’est pas discutable. Il croit l’épouse invitée de faveur d’une gentry parisienne. Il faut dire qu’à distance, l’imagination mouline. Ce qu’attestent le bruit sec du téléphone raccroché, et les appels frénétiques de Mariposa cherchant à rétablir la communication avec Guillermo, domicilié au 253 Langatabiki Street, Paramaribo. Lui se détournant du téléphone pour soulever discrètement le rideau de la cuisine, inquiété par les interjections bestiales arrivées de la rue, de l’autre trottoir, dans une cabine téléphonique faiblement éclairée, il remonte un peu la vitre et perçoit des phrases étrangères dont il essaye de discerner les syntagmes « Espèces de gros cons, je suis coincée ici sans putain de fric pour me racheter un putain de vol de retour, que vous m’avez annulé, et je vais devoir faire la putain pour acheter un billet à la con, que j’attends depuis une semaine que vous me remboursiez, alors écoutez-moi, si dans une minute, vous n’avez pas résolu le problème, je me rends dans un cybercafé et je vous gratifie d’un commentaire bien senti sur le guide du routard, ce qui aura pour effet immédiat d’anéantir votre réputation», Guillermo frissonne et referme la fenêtre, il va ensuite s’assurer que la fermeture de la porte d’entrée est effective, il monte à l’étage pour border ses enfants et les embrasser chacun sur la tempe, tandis qu’en bas les sonneries du téléphone n’en finissent pas de supplier. Il descend calmement, débranche le téléphone, s’assoit, rembobine sa VHS. C’est le moment où dans son hôtel du onzième, Mariposa éclate en larmes, se précipite sur son ordinateur portable, clique le premier vol pour Paramaribo, accepte un tarif exorbitant, sans pour autant que ses yeux ne quittent leur orbite. Les voisins remettent le couvert et se dévorent. Elle s’empresse de cocher la petite case ''j’accepte les conditions générales », qui fort heureusement pour elle qui ne les a pas lues, ne comportent aucune clause aussi abusive que « le dernier passager à quitter l’appareil sera tenu d’ajuster les têtières, démêler les écouteurs, plier les couvertures, passer l’aspirateur et astiquer les manches du cockpit », elle reproduit le numéro de sa carte bancaire, poursuit avec la touche valider. Cela a pour effet d’annuler, selon les algorithmes de eDreams, le billet retour d’une compatriote qui avait saisi la même opportunité pour Paramaribo. Au même instant, cette dernière reçoit sur son téléphone un minimessage, qui lui annonce laconiquement que son vol est annulé, la remettant aux bons soins du service client. C’est alors que la dénommée Florence, entraînée par son téléphone, cherche du wifi gratuit. Ce qui la conduit au Baboelal Bar, dont elle pousse la porte, pour tomber nez à nez avec une protagoniste réchauffée de l’histoire, Cécilia, accompagnatrice en montagne. Le temps s’arrête. L’une regarde l’autre, qui renchérit intensément. Dans deux heures, elles vont s’abandonner dans une chambre miteuse, dont ont leur aura cédé la clef non sans avoir consigné tous leurs objets de valeurs. Elles finiront de se dépouiller sur un vieux matelas dont ce n’est pas la première histoire. Mariposa descendra peut-être au bar de l’hôtel commander de l’alcool fort, et les amants de la 126 s’embrasseront à bouche que veux-tu. Les imago ailés pulseront au milieu des étoiles. Et il semblera alors que toute colère se sera apaisée, pour cette fois.
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