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Mais, bon sang, pourquoi voulez-vous donc qu’on vous sourie ? Manque d’affection ? Besoin enfantin d’amour et de reconnaissance ? Enfance traumatisée par la moue revêche de Tatie Léa ? Vous-même, vous souriez aux gens que vous ne connaissez pas, quand vous les croisez dans les rues de Paris, de Bordeaux ou de Romorantin ? Vous souriez aux Chinois, aux Russes, aux Italiens, aux Espagnols, aux Pakistanais, lorsqu’ils vous abordent dans la rue et vous demandent, en mauvais anglais, la direction du commissariat parce qu’on leur a fauché leur portefeuille ? Ben non, ou pas plus que ça, vous êtes pressé, vous allez au boulot, et ils n’avaient qu’à faire attention à leur pognon.
On dirait que le touriste français à l’étranger s’imagine être dans des contrées peuplées d’indigènes désoeuvrés qui n’ont rien d’autre à faire que de lui sourire, lui sourire et lui sourire encore, pour faire admirer leurs belles dents et bien montrer combien ils sont accueillants et soucieux de complaire à l’homme blanc qui daigne visiter leur humble pays. Malheureusement, ça ne marche pas comme ça. Au mieux, vous glanerez un sourire commercial, comme celui de la boulangère de Corrèze à qui vous achetez un gros gâteau. Parfois vous susciterez un sourire amusé (c’est que vous êtes si drôle, avec votre teint de homard recuit par le soleil, cet appareil photo trop compliqué que vous ne savez pas utiliser, votre air ahuri et votre grosse bonne femme aux jambes livides zébrées de vergetures). Mais la plupart du temps, vous serez un quidam comme un autre et vous n’aurez pas de sourire, parce qu’il n’y aucune raison, et que ça fatigue les zygomatiques.
Et peut-être même aurez-vous droit à une petite pointe de mépris ou d’agressivité, parce que, n’est-ce pas, avec tous ces touristes, on n’est plus chez soi, c’est infernal, ma chère ! Cette année, on ne peut même plus mettre les pieds sur la plage ! Sans compter que ça fait monter les prix ! N’est-ce pas ce que disent entre eux les Tropéziens, les Niçois ou les Cannois de souche lorsqu’ils voient débarquer en juillet et en août des hordes de vacanciers ? Ceux qui en profitent, les commerçants, les hôteliers, les restaurateurs, se frottent les mains et travaillent leur sourire le soir devant la glace. Mais les autres ? Ils travaillent plutôt leurs grimaces ou profitent de l’invasion estivale pour aller prendre des vacances en Lozère ou dans la Creuse.
Ah ! Les vieux provençaux qui, dès le matin, installent leur chaise devant le pas de leur porte et sourient à longueur de journée aux touristes du monde entier qui défilent devant eux, s’arrêtent pour les photographier (Si, si ! Il faut le voir pour le croire ! Un type de paysan provençal d’une authenticité inouie, mon vieux !) ou pour leur lancer des cacahouètes, pendant que les gamins (mal élevés, comme tous les gamins étrangers) leur tirent la langue et leur font des grimaces. C’est presque un métier, sourieur. D’ailleurs, on dit qu’ils sont payés par la municipalité ! Et après le village le plus fleuri de France, ils participent au concours du village le plus souriant de France.
Cordialement,
PVM