Île de Pâques, la mystérieuse Rapa Nui

Île de Pâques, la mystérieuse Rapa Nui
© Amy Nichole Harris - Fotolia

Ce n’est qu’un point au milieu de l’océan : 23 km sur 12 de cônes volcaniques nés des profondeurs abyssales, de cratères et de côtes de lave déchiquetées, sur lesquelles se brisent les rouleaux du Pacifique.

On dit de Rapa Nui, alias l’île de Pâques, qu’elle est l’île la plus isolée au monde. C’est sans doute vrai. La côte du Chili, dont elle dépend, est à 3 750 km à l’est ; Tahiti, à 4 100 km à l’ouest. Grands navigateurs, les Polynésiens ont colonisé cette terre perdue aux confins du monde dès les environs du IVe siècle. Dans sa roche tendre, ils ont taillé les moai, incarnations des ancêtres divinisés.

Dressées sur des plates-formes cérémonielles, les statues stupéfièrent Jacob Roggeveen, le « découvreur » hollandais de l’île – un jour de Pâques 1722 –, au point qu’il les prit pour des géants. Plus tard, on leur attribua les origines les plus extravagantes, évoquant les Phéniciens, une tribu perdue d’Israël, et même les extraterrestres. Rapa Nui n’a pas livré tous ses mystères…

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Anakena, aux origines de l’île de Pâques

Anakena, aux origines de l’île de Pâques
Anakena © longtaildog - Fotolia

Le jour se lève sur Anakena, inondant la seule cocoteraie de l’île. Sur ses flancs enfle une colline raide. L’ascension, à travers une mer de hautes herbes, offre un panorama étourdissant : seule parenthèse idyllique sur les côtes de lave de l’île de Pâques, un ruban de sable blanc corallien tapisse le fond de cette grande anse ourlée de palmiers.

Dans quelques heures, les familles d’Hanga Roa, le seul village de l’île, situé à son autre extrémité, viendront profiter de ce samedi bien ensoleillé. Sous un simple auvent de bois, la tía Clarisse proposera aux visiteurs son poulet et ses poissons grillés achetés le matin même au marché.

La légende est formelle. C’est ici, à Anakena, qu’Hotu Matu’a, le premier roi de l’île, aurait débarqué d’une grande pirogue à double coque, au 5e siècle. À bord, hommes, femmes, bétail et vivres.

Partis d’une terre mythique baptisée Hiva (sans doute les lointaines Marquises), ces conquérants venus de Polynésie auraient été poussés à l’exil en raison d’une guerre perdue, de l’inondation de leurs terres, ou par le seul goût de la découverte, si ancré chez les Polynésiens. À Anakena, Hotu Matu’a installa sa cour. Chacun de ses six fils aurait ensuite donné naissance aux principaux clans.

Thor Heyerdahl et l’hypothèse américaine

En 1948, un scientifique norvégien donne sa version du peuplement de Rapa Nui. Thor Heyerdahl, parti de la côte du Pérou sur un radeau de balsa, s’échoue aux îles Marquises après avoir traversé tout le Pacifique oriental. Son but ? Démontrer la faisabilité d’une colonisation de la Polynésie et d’un peuplement primordial de  l’île de Pâques à partir de l’Amérique du Sud.

Sa thèse repose sur plusieurs arguments. Les similitudes architecturales sont troublantes : les énormes blocs de pierre parfaitement encastrés de l’ahu Vinapu ressemblent ainsi fort à ceux de Cuzco, l’ancienne capitale inca.

La présence sur l’île et dans une bonne partie de la Polynésie de la patate douce, un légume incontestablement sud-américain, fournit un argument supplémentaire. Son nom est d’ailleurs identique en quechua et en maori (kumara). D’autres termes, d’autres plantes, pointent dans la même direction.

Si les anciens Pascuans eurent sans doute des contacts avec l’Amérique du Sud, des analyses génétiques ont contredit depuis la thèse de Heyerdahl : les Pascuans sont Polynésiens, venus de l’ouest.

Les moai, incarnation des ancêtres

Les moai, incarnation des ancêtres
Ahu Nau Nau © haulo - Fotolia

 C’est à la suite d’un rêve prémonitoire qu’Hotu Matu’a, premier roi de l’île, aurait décidé de voguer vers l’inconnu. Aventurier mais pas suicidaire, il aurait auparavant dépêché sur le vaste océan sept envoyés. Ce sont eux, disent les Pascuans, qu’incarnent les sept statues tournées vers la mer de l’ahu Akivi : un centre cérémoniel inhabituellement installé dans les terres, au centre même de l’île, en rang d’oignon sur une plate-forme longue de 25 m.

Tous les autres moai, les fameuses statues de l’île de Pâques, tournent le dos à l’océan. Personnification des ancêtres fondateurs, connus chacun par leur nom, ils avaient pour vocation de protéger leurs « descendants » et leur territoire grâce à la puissance de leur mana (force spirituelle).

Des sept statues qui s’alignaient jadis sur l’ahu Nau Nau, légèrement en retrait de la plage d’Anakena, cinq sont intactes et quatre ont retrouvé leur pukao : ce drôle de couvre-chef taillé dans le tuf rouge, mis en place selon une technique encore inconnue, évoque la coiffure des chefs, symbole de puissance,  selon les archéologues.

Plus qu’intactes, elles sont même superbes, protégées par le sable qui les recouvrit longtemps. On remarque leurs longues oreilles, leurs doigts effilés posés sur le ventre, leur nombril et, dans le dos, des symboles liés aux éléments naturels. En cet endroit précis, un archéologue pascuan découvrit, il y a quelques temps, les restes d’un œil de corail – le regard perdu des moai.

Rano Raraku, le site mythique de Rapa Nui

Rano Raraku, le site mythique de Rapa Nui
Rano Raraku © OliverFoerstner - Fotolia

Partant d’Hanga Roa, l’unique route circulaire longe la côte sud, sèche et léchée par des vagues éclatant en gerbes. Dans les pâturages à l’herbe jaunie, les vaqueros (cow-boys) pascuans sont déjà à l’ouvrage, rassemblant vaches et chevaux, élevés en semi-liberté, auprès des rares points d’eau.

Au loin se découpe peu à peu le site le plus mythique de Rapa Nui : le Rano Raraku. Sur les pentes de tuf et de cendres compressées de ce petit volcan d’apparence anodine, les Pascuans ont taillé la majeure partie de leurs géants de pierre. Ils sont 394, exactement, à parsemer encore les deux versants du cratère sur les plus de 900 répertoriés d’un bout à l’autre de l’île.

Le long du sentier montant doucement, comme dans la plaine alentour, plusieurs statues abandonnées, brisées lors du transport, sommeillent comme des navires à l’ancre. Un peu plus haut, les moai gardiens, les plus nombreux, si hauts, si fiers, au profil nettement découpé, se plantent dans le sol jusqu'aux épaules – jusqu’au nez parfois…

Alignés en ronde grandiose, au bas des falaises, ils avaient pour fonction de protéger de leur mana le chantier en cours. Au hasard des multiples raidillons, l’un d’eux montre un voilier gravé sur son ventre. Un peu plus loin, le plus étonnant s’accroupit sur les talons : le tukuturi, dont le visage laisse deviner une barbe usée par les intempéries. Sans doute l’un des premiers réalisés sur l’île (13e), il est très proche, par sa forme, d’autres statues plus petites mises au jour aux îles Marquises.

Un moai de 160 tonnes et des brouettes

Un moai de 160 tonnes et des brouettes
El gigante allongé dans le flanc de la montagne © takepicsforfun - Fotolia

Une forme presque humaine, puis deux, puis d’autres attirent l’œil. Il y a là, dans ces anciennes carrières envahies par la végétation, des dizaines de moai restés prisonniers de leur gangue de roche.

Certains ne sont encore que de simples ébauches, tracées à l’aide d’une pointe d’obsidienne ; d’autres, déjà, sont des colosses achevés, prêts à être détachés de leur cordon ombilical – une ultime quille de pierre qui les relie encore au socle de tuf. Souvent, les statues s’encastrent au plus près, tête-bêche, dos à dos, de bas en haut, de haut en bas… histoire de ne pas perdre de précieuse matière. L’île n’est pas très grande et les carrières menaçaient de s’épuiser.

Il faut, pour trouver tous ces moai, crapahuter au milieu des herbes, emprunter les sentes les plus échevelées. Chaque visite en révèle de nouveaux, en fonction de la luminosité, dans les coins les plus insolites.

Les moai sont grands, en moyenne de 4 mètres, pour une bonne douzaine de tonnes. Mais certains se distinguent. Grimpant le long d’une arête étroite, El Gigante (le Géant) apparaît ainsi, comme couché sur la paroi.

Le plus grand de tous, taillé en dépit du bon sens, mesure pas moins de 21,92 m, le double des plus grands ! Son poids, estimé entre 160 et 182 tonnes (2 Boeing 747 !), aurait sans conteste empêché son transport. Peut-être même pourrait-il être à l’origine de la révolution qui emporta le culte des moai ?

Le dernier mystère de l’île de Pâques

Le dernier mystère de l’île de Pâques
© vladimir krupenkin - Fotolia

La question a longtemps hanté les spécialistes : comment les anciens Pascuans parvinrent-ils à acheminer les moai dégrossis vers les quelque 240 sites cérémoniels qui se disséminent aux quatre coins de l’île ?

Sergio Rapu, conservateur du parc national de Rapa Nui, pense qu’ils les firent pivoter, un pied après l’autre, à la manière d’un réfrigérateur que l’on déplace… un écho à la légende selon laquelle les moai avançaient d’eux-mêmes, portés par leur seule mana.

La plupart des chercheurs pensent pourtant plutôt qu’ils furent tirés sur des traîneaux de bois glissant sur un lit de rondins. L’île abritait jadis de grandes forêts de toromiro et de palmiers qui l’auraient permis. En tout état de cause, le transport n’était pas une mince affaire : seul le tiers d’entre eux parvint à destination intact. Record : un moai de 85 tonnes à 20 km.

Au Rano Raraku, le sentier, grimpant jusqu’au sommet du cratère, révèle un petit lac bleu frangé de joncs et une brochette d’autres géants inachevés. Pour convoyer les moai, il fallait donc remonter la pente, franchir la crête et redescendre sur le versant opposé…

L’imagination laisse entrevoir les difficultés de l’exercice et supputer les raisons d’un tel effort : manque de matériau ? Sans doute. Concurrence entre les clans pour la construction de statues toujours plus grandes, qui épuisèrent les veines les plus accessibles ? Rejet des clans inférieurs vers les zones les plus ardues à exploiter ?

De la fin des moais au culte de l’homme-oiseau

De la fin des moais au culte de l’homme-oiseau
L'îlot de Motu Nui vu du village d'Orongo © NoraDoa - Fotolia

Ces questions en amènent une autre : comment expliquer l’abandon soudain des carrières du Rano Raraku ? Aux 16e et 17e s, de grands conflits semblent avoir secoué l’île.

S’agissait-il d’une révolte contre le clan dominant, qui appuyait son hégémonie sur le culte des moai ? D’une série de cataclysmes naturels ? Des conséquences de la surpopulation (on parle de 20 000 habitants pour 5 500 aujourd’hui) et de la surexploitation des ressources, qui conduisirent à des guerres perpétuelles, voire au cannibalisme ?

Plusieurs de ces facteurs se combinèrent sans doute pour mener à la chute des moai – renversés face contre terre par des guerriers soucieux de détruire le mana de leurs rivaux.

Le culte secondaire du tangata manu, l’homme-oiseau, prend alors son essor. Sa vocation : permettre au pouvoir temporel de glisser d’une tribu à l’autre, en désignant le roi de l’île pour une année au terme d’une compétition opposant les représentants des dix tribus. Le défi : ramener le premier œuf de frégate pondu sur l’îlot de Motu Nui, flottant au pied des hautes falaises où campe le village cérémoniel d’Orongo. Un véritable exploit physique.

L’attente, sur l’îlot, pouvait durer quelques jours ou semaines. Le premier œuf trouvé, il ne restait plus au vainqueur qu’à rentrer, son butin fixé sur le front, pour le remettre à son chef. Sacré tangata manu, ce dernier, devenu tapu (tabou), se retirait en un site isolé ; il lui était désormais interdit de croiser d’autres hommes, de se laver, de se couper cheveux ou ongles…

Rano Kau, le refuge de l’homme-oiseau

Rano Kau, le refuge de l’homme-oiseau
Rano Kau © NoraDoa - Fotolia

Du village, une piste en terre battue grimpe entre les bosquets d'eucalyptus, sur les flancs du Rano Kau – révélant en chemin tout le cœur de l'île, constellé de cônes anciens reconquis par le vert des prairies.

Au sommet, s'ouvre une caldeira aux pentes tapissées d'éboulis. Environ 200 m plus bas, des dizaines de petits lacs sont séparés les uns des autres par de simples liserés de joncs, dessinant comme un kaléidoscope.

Principal volcan de Rapa Nui, le Rano Kau s’est endormi il y a 10 000 ans seulement. En ce lieu où l'île meurt en falaises drues, une brèche étroite se dessine ; il s'en est fallu de peu que l'océan ne noie le cratère.

Le chemin se termine près de cette pointe extrême, en un lieu où se dressent encore les maisons de pierre basses du village cérémoniel d'Orongo. Là, au-dessus du vide, les anciens Pascuans ont gravé les rochers instables de mille dessins symboliques : têtes de Make Make, dieu suprême au masque de mort, et nombreux tangata manu, hommes-oiseaux au bec crochu. Son culte se tenait ici même. En contrebas, les trois îlots de Motu Nui, Motu Iti et Motu Kao Kao piquètent toujours le bleu profond de l’océan.

Au loin, Hanga Roa semble assoupi, ses maisons et jardins fleuris d’hibiscus disséminés le long de rues écrasées de soleil. École finie, les jeunes s’y retrouvent au petit port de La Caleta, entre deux sessions de surf et une glace, sous le regard des jeunes filles rieuses, déambulant à cheval.

Fiche pratique

Consulter notre guide en ligne Île de Pâques

Climat

Tropicale mais pas trop, l'île de Pâques connaît un climat doux, sans saison des pluies marquée – même si les précipitations sont un peu plus généreuses durant l’hiver austral. Les températures moyennes atteignent leur minima en août (18,5 °C) et leur maxima en février (24 °C). Le vent souffle presque toute l’année.

Comment s’y rendre ?

LATAM, la seule compagnie aérienne desservant l'île de Pâques, assure un vol quotidien entre Santiago du Chili et Hanga Roa (5 h 30 de vol) ; 2 fois par semaine, il continue jusqu’à Tahiti. Les tarifs combinés étant très élevés depuis l’Europe, il revient en général moins cher d’acheter d’abord un billet Europe-Santiago (à partir de 700-800 € A/R), puis un Santiago-île de Pâques (450-1 100 €, chercher les promos flash).

Ceux qui résident en Polynésie française (les plus nombreux à visiter l’île de Pâques) trouveront un vol à partir de 400 € A/R… qui part au milieu de la nuit. Autre option: un itinéraire tour du monde avec l’alliance oneWorld (auquel appartient LATAM).

Trouvez votre billet d’avion pour l’île de Pâques.

Sinon, ceux qui ont du temps devant eux peuvent envisager de rejoindre l’île de Pâques à bord de l’Aquiles, le navire militaire chilien qui visite l’île 2 fois/an. Un trajet de 7 jours en haute mer, interrompu par une escale sur l’isla Robinsoe Crusoe (si, si !), dans l’archipel Juan Fernandez, tout ça pour seulement 120 000 pesos (env 160 €) par personne. Il est cependant impératif de revenir par le même bateau ou d’avoir un billet d’avion retour ou de continuation.

Comment se déplacer?

Aucun transport en commun sur l’île. Les marcheurs marcheront, les cavaliers loueront un cheval (30-50 $ la ½ journée) et les autres une moto ou une voiture (60-80 $/j). On en trouve dans les agences locales ou auprès de certains propriétaires de pensions. Un moyen idéal pour parcourir les sites désertés en fin de journée et explorer les recoins sauvages de l’île.

Hébergement

L’île de Pâques dispose d’un important parc hôtelier, partagé entre une dizaine d’hôtels, dont quelques établissements chic, et un grand nombre de pensions de famille (residenciales) et cabañas (avec cuisine) plus ou moins confortables.

Les tarifs sont inférieurs lorsqu’on choisit sur place plutôt que de réserver – à partir de 40 € pour deux avec petit déjeuner, le plus souvent entre 50 € et 80 € (plus cher durant l’été austral).

 La plupart des propriétaires se rendent à l’arrivée des vols pour accueillir leurs clients ; beaucoup d’entre eux parlent le français et certains proposent un service de guide. On peut aussi camper (5 terrains) pour environ 7 000 pesos/pers/j (10 €).

Réserver votre hôtel.

Le Tapati

Chaque année durant deux semaines, entre fin janvier et fin février, se déroule un festival haut en couleurs : le Tapati, issu des anciennes cérémonies liées aux récoltes.

De nombreux spectacles et activités sont organisés : concours de sculpture, de tressage, de chant, de danse, courses de chevaux, de canoës, mais aussi de porter de régimes de bananes (!), traversée à la nage du lac de cratère du Rano Raraku, « luge » sur des troncs de bananier sur les pentes des volcans, etc.

Le tout en costumes traditionnels et opposant deux équipes familiales concourrant chacune pour une candidate au titre de « reine du Tapati ». L’occasion pour les Pascuans de retrouver leurs racines et pour les visiteurs de les découvrir. En 2017, le Tapati aura lieu entre le 27 janvier et le 12 février.

Liens

www.imaginaisladepascua.com Pour tout savoir sur l’île, d’un point de vue culturel comme pratique (en espagnol).

www.eisp.org Le site de l’Easter Island Statue Projet (en anglais), qui a consacré plus de 35 ans à des recherches archéologiques sur les moai.

www.islandheritage.org/wordpress Le site de l’Easter Island Foundation vous permettra de glaner quelques autres informations (en anglais) et images.

Texte : Claude Hervé-Bazin

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