Un phénomène économique. Il fut un temps où l'on ne savait pas où " ranger "des artistes tels que l'Espagnol Paco Ibanez, le Catalan Lluis Llach, le Kabyle Idir ou la Grecque Angélique Ionatos, sinon dans les variétés. Aujourd'hui, les musiques du monde représentent un espoir de profit pour les multinationales du disque. Après avoir longtemps boudé ces formes inclassables en termes de marketing, le succès de quelques francs-tireurs a ouvert la brèche. Le business devient payant quand on se remémore les gigantesques succès obtenus par Le Mystère des Voix Bulgares, Kaoma, les Gipsy Kings, Mory Kanté, Khaled, pour ne citer qu'eux. Les parts de marché s'agrandissent ! Alléluia ! Cela permet à quantité d'artistes de trouver les moyens de s'exprimer et aux mélomanes d'aller de découverte en découverte. Les labels publient de plus en plus de disques de musiques du monde, tandis que les festivals et les salles de concerts offrent des affiches souvent passionnantes.

Du coup, les médias s'ouvrent. Longtemps, seuls quelques titres de la presse écrite (Actuel, inventeur du beau terme " Sono mondiale ", Libération, par exemple) ont fait connaître les musiques du monde, au même titre que les nouveaux courants. À présent, la presse écrite couvre assez bien ce champ musical, au contraire des médias audiovisuels qui ne diffusent des musiques du monde que lorsque celles-ci prennent des formes pop dictées par le business.

Des musiciens anglo-saxons ont joué un grand rôle dans l'acceptation de nouveaux sons. Dès les années soixante et soixante-dix, des stars telles que Led Zeppelin, les Beatles, et les Stones pour ne parler que des plus connus, intègrent des sons indiens dans leur rock. Plus tard, c'est l'ensemble des musiques du monde qui attirent des artistes aux grandes oreilles comme Joe Zawinul (Weather Report) ou Paul Simon, qui réussit à allier son folk urbain au folklore andin, au reggae, ainsi qu'aux musiques brésiliennes et sud-africaines. Brillamment tournées, ses chansons obtiennent un énorme succès. D'autres vont plus loin, comme Brian Eno et David Byrne qui tentent des fusions ethno-électro au tournant des années soixante-dix et quatre-vingt. D'autres encore suivront : Jonathan Richman, Peter Gabriel, Bill Laswell (Material), Ry Cooder, etc.

Les Français ne sont pas en reste. Mais c'est plus du côté de la production que viennent les initiatives décisives. Souvent venus de la presse, des limiers au flair très développé imposent des artistes non-occidentaux dans le paysage musical. Il y eut Philippe Constantin, Martin Meissonnier, Philippe Conrath et beaucoup d'autres. Côté musiciens, Hector Zazou (journaliste et musicien), se situant dans la lignée de Eno, réussit un coup de maître en mariant l'électronique aux Nouvelles Polyphonies Corses.

Les fusions qui s'opère entre les musiques du monde et les genres reconnus et installés en Occident se multiplient. Le jazz, français notamment, est très friand de mélanges : avec le flamenco, les musiques africaines, orientales, asiatiques, etc. Bref, tout y passe et souvent avec les honneurs. L'univers classique n'est pas en reste. Le mouvement qui s'est formé autour du renouveau baroque, à la recherche de plus d'authenticité dans l'interprétation des œuvres " anciennes " a amené nombre d'ensembles et de solistes à révéler des connections souvent minorées. Enfin, dans le domaine de l'électronique, on utilise à foison les sons d'ailleurs, tantôt avec pertinence (Damon Albarn, Frédéric Galliano, Gotan Project), tantôt par facilité. Combien de tchac poum avec voix " orientales " échantillonnées par exemple ? Plus insaisissables, d'autres fusions se font remarquées comme le " Lambarene " d'Hugues de Courson (Bach et les Pygmées), les Big Men de Martin Meissonnier (raï et reggae), Songhaï (mandingue et flamenco)... Et puis, préfigurant peut-être la musique du futur, des artistes intègrent toutes les formes qu'ils veulent dans la plus grande liberté. Il y eut notamment le Penguin Café Orchestra, puis Pascal Comelade et, dans un tout autre genre, Manu Chao.

De découverte en redécouverte, le monde des musiques humaines s'élargit en permanence. On remet au grand jour le klezmer (des Juifs d'Europe de l'Est), le chant des Garifunas (des Afro-amérindiens d'Amérique centrale), celui des Samis (alias les Lapons), le souffle des trompes didgeridoo aborigènes d'Australie, les trésors de swing seventies éthiopiens, la grande musique égypto-swahili de Zanzibar, le riche répertoire malgache, les origines indiennes des musiques roms, le répertoire arabo-andalou du Maghreb… Les musiques sacrées du Tibet, du Pakistan (le Qawali de Nusrat Fateh Ali Khan), de Turquie (les derviches tourneurs) ou encore les Gnaoua marocains ne sont plus connus que des seuls spécialistes. D'autres musiques populaires encore ont même leurs stars. Le répertoire afro-péruvien est magnifié par Susana Baca, la morna cap-verdienne par Cesaria Evora ou le maloya réunionnais par Danyel Waro. Comme si cela ne suffisait pas, voici encore l'explosion des fanfares balkaniques, du chant harmonique sibérien, des joyeuses rengaines indiennes du cinéma de Bollywood et le retour en vogue de la danse du ventre… Et on en oublie !

La world néocolonialiste ? Les musiques du monde perdent-elles leur vérité, leur originalité en frayant avec l'industrie du spectacle américano-européenne ? Cette dernière n'est-elle pas l'un des subtils instruments inventés par les anciens colonisateurs afin de poursuivre leur domination et leur exploitation des peuples du tiers-monde et des minorités ? Les artistes ou praticiens de musique populaire ou savante non occidentaux peuvent-ils exprimer leur art ancestral ou le déployer en direction de nouveaux horizons selon leur propre souhait ? Difficile d'avoir un avis tranché sur ces questions, dans la mesure où tel exemple de dévoiement manifeste peut être contredit par le résultat d'une rencontre passionnante.

En guise de conclusion provisoire à ce débat et à ce dossier, méditons avec l'ethnologue Claude Lévi-Strauss qui écrit dans Race et histoire : " L'humanité est constamment aux prises avec deux processus contradictoires dont l'un tend à instaurer l'unification, tandis que l'autre vise à maintenir ou à rétablir la diversification. La position de chaque époque ou de chaque culture dans le système, l'orientation selon laquelle elle s'y trouve engagée sont telles qu'un seul des deux processus lui paraît avoir un sens, l'autre semblant être la négation du premier. Mais dire, comme on pourrait y être enclin, que l'humanité se défait en même temps qu'elle se fait, procéderait encore d'une vision incomplète. Car, sur deux plans et à deux niveaux opposés, il s'agit bien de deux manières différentes de se faire. (…) La diversité des cultures humaines est derrière nous, autour de nous et devant nous. La seule exigence que nous puissions faire valoir à son endroit (…) est qu'elle se réalise sous des formes dont chacune soit une contribution à la plus grande générosité des autres ".

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