La duchesse rouge
La descendante d'une très vieille dynastie
Depuis près de sept siècles, le palais s'est transmis de génération en génération
jusqu'à son actuelle propriétaire : Doña Isabel Alvarez de Toledo, duchesse
de Medina Sidonia, descendante d'une des plus vieilles dynasties d'Espagne et
d'Europe. En 1955, cette femme de caractère hérita du palais de Sanlúcar
et de ses archives.
Pour sa famille, tout a commencé au XIIIe siècle. En 1297,
le roi Fernando IV concéda la villa de Solucar avec son castillo
(château) à son vassal Alonso Perez de Guzman. Celui-ci, surnommé Guzman El
Bueno, héros de la Reconquista du sud de l'Andalousie, s'est rendu célèbre en
sacrifiant son fils, prisonnier des Maures, plutôt que de céder son château
de Tarifa (il existe toujours aujourd'hui). Au XVe siècle, ses
descendants, les ducs de Medina Sidonia, contrôlaient une bonne partie du sud-ouest
de l'Andalousie. Ils gouvernaient notamment le comté de Niebla, qui était inclus
dans un territoire immense, composé de ports stratégiques, de dizaines de villages,
de fermes et de grands domaines répartis entre Huelva et Medina Sidonia (ville
située dans l'arrière-pays de Cadix). Les générations se suivirent. C'est aussi
un duc de Medina Sidonia qui dirigea en 1588 l'Invicible Armada contre
les Anglais. Le destin de ces « seigneurs de la terre et de la mer »
est étroitement lié à l'histoire de leur palais de Sanlúcar. Au sous-sol, je
remarque des arcades mauresques et blanches évoquant un lieu de prière musulman.
Pour la duchesse de Medina Sidonia, cela ne fait aucun doute : « Mon
aïeul Guzman el Bueno devait être un musulman qui cachait sa confession, car
j'ai découvert, au premier étage du palais où j'habite, une mosquée secrète
avec la niche de l'imam », dit-elle dans un français impeccable.
Dans le salon des Ambassadeurs (salon de los Embajadores) de 1640, de grands
tableaux ornent les murs et des sofas attendent les visiteurs de marque. Ici,
un robuste coffre allemand du XVe siècle à trois clefs. Là,
des tapisseries des Flandres. Dans un coin, un meuble du XVIe siècle
sculpté par un Indien naguère employé par la famille. « Cela n'a rien d'étonnant,
poursuit la duchesse, car, à Sanlúcar, vivaient des Indiens libres et des esclaves
venus d'Amérique sur les caravelles des conquistadors. » Dans la salle
des Colonnes (salon de las Columnas) de 1524, une des plus belles pièces
du palais, quatre hautes colonnes en marbre se terminent par des chapiteaux
sculptés dans un bois exotique. Ils portent des motifs aztèques, inspirés de
ceux du palais de Moctezuma, l'empereur aztèque qui demeurait à Mexico, et qui
fut emprisonné par Hernan Cortès. Le conquistador du Mexique n'avait-il pas
confié l'éducation de ses filles au duc de Medina Sidonia qu'il connaissait
bien ?
Texte : Olivier Page
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