Alexandrie, Le Caire-sur-Mer
L’alcool prohibé...
Tout cela est bel et bon, se dira le voyageur, mais il commence à faire soif.
Mais où peut-on boire à Alexandrie, d’ailleurs ? Et c’est là que ça se
corse, car des lieux où boire, c’est exceptionnel dans cette ville... Le principe
général, c’est que l’on boit dans des lieux jouissant d’une manière d’exterritorialité,
ou bien que l’on peut boire dans des lieux si, du fait de son statut social
ou de sa qualité d’étranger, l’on jouit soi-même d’une certaine exterritorialité.
Ainsi, les restaurants populaires du quartier d’Anfouchi, au nombre desquels
Kaddoura est un des tout meilleurs, ne servent pas d’alcool. La tendance n’est
pas à ce que la règle s'assouplisse : deux événements l’attestent, l’un
ponctuel, l’autre s’inscrivant dans une durée plus longue, amorcée en 1991
très précisément. Cette année-là, l’obédience, toutes religions confondues,
aux préceptes diététiques du mois saint de Ramadan fut radicale, et les listes
des boissons alcoolisées furent proscrites des menus, ce qui est la moindre
des choses, au regard de l’Islam. Par contre, ce qui le fut moins, c’est qu’on
refusa également d’en servir aux non-musulmans, aux non-Égyptiens : aux
étrangers (ce que la loi pourtant autorise, mais qui demeure plus ou moins à
l’appréciation du tenancier). Il y eut donc une unanimité morale cette année-là
sur le sujet de la prohibition. Voilà pour la révolution diététique de l’an 91.
Par ailleurs, la situation des restaurants de poissons d’Anfouchi s’aggrava
d’une circonstance particulièrement tragique, qui eut comme théâtre celui de
ces restaurants qui était le meilleur de tous. Des officiers de la police s’étaient
accoutumés à venir dîner en nombre (peut-être pratiquer quelque racket aussi ?).
Un certain soir, un groupe d’hommes attenta à leur vie, à la suite de quoi un
policier mourut de ses blessures. Les officiers attaqués, fulminants de leurs
déboires, déclarèrent le propriétaire et les serveurs de mèche avec les agresseurs.
Qu’ils désignèrent comme des islamistes, manière, en Égypte aussi, hélas, d’avoir
les coudées franches en matière de répression : vis-à-vis de ces gens-là,
les « barbus », l’Occident ne risque pas de brandir ses droits de
l’homme en cas de mauvais traitement... Ainsi le lendemain, un camion débarqua
des soldats armés de Kalachnikovs, de gourdins et de gaz lacrymogènes, qui ravagèrent
la place, renversant les fourneaux, vidant les bassines d’huile bouillante des
fritures et les tisons ardents des grills sur le personnel... L’établissement
n’a jamais rouvert.
Texte : Éric Lang
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