Jordanie, sur la piste de Lawrence d'Arabie
Bivouac bédouin
Les mains léchées par les flammes, Ali pose délicatement sur le tas de brindilles incandescentes une bouilloire cabossée fardée de suie. Le bois crépite, la fumée monte, pour se perdre immédiatement dans le crépuscule naissant. La chaleur est la bienvenue : si les derniers rayons du soleil illuminent encore les hautes parois orangées du djebel voisin, au fond du wadi, la nuit et le froid s'installent déjà. Les roches dominant la vallée, les dunes chétives, les rares buissons de broussailles, tout se mêle par instants sous le souffle tourbillonnant du vent.
De deux doigts habitués, Ali nettoie les verres d'un peu de cendres, les essuie du bout de son chèche. Le thé bout. Tout semble figé ; le temps est comme suspendu. Tout juste perçoit-on au loin l'ombre de moins en moins nette d'un berger, une vague mouvante de moutons regagnant un campement devenu invisible. Plus près de nous, deux dromadaires se frôlent, presque avalés, désormais, par la nuit envahissante.
En quelques instants, les dernières lueurs violacées s'évanouissent. Seuls demeurent les soupirs irréguliers des rafales. Brisant le silence, le thé brûlant, adouci de sucre et aromatisé de sauge, s'écoule en cascade dans les petits verres, qu'Ali a calés dans le sol meuble. Le liquide réchauffe le corps tandis que la voûte céleste, profitant de l'absence de la lune, s'allume comme une guirlande de Noël.
Texte : Claude Hervé-Bazin
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