Arménie, la preuve par le monastère
Au sud, entre steppe et désert
Autant le Nord de l’Arménie est vert, autant le Sud est jaune. Passé la parenthèse inerte du grand lac Sevan (1257 km2), une route dégringole du Petit Caucase vers la vallée assoiffée de l’Arpa. Au col de Selim, un étrange édifice bas défile : un caravansérail, bâti au XIIIe siècle aux marges de la route de la Soie, lorsque chameaux et chevaux transportaient vers l’ouest soieries chinoises, épices et pierres précieuses indiennes.
Au creux des montagnes pelées s’écoule une rivière fluette, alimentant des vignes, des vergers de pêchers (rustiques) et d’abricotiers. Dans un cirque immense aux falaises de feu, voici Noravank, le plus beau, peut-être, de tous les monastères d’Arménie. L’un des plus tardifs (XIIIe-XIVe), il se pose sur un vague replat, ses deux églises endormies ornementées de khatchkars d’une finesse exquise, d’entrelacs aux motifs incroyablement imbriqués et de portails sculptés. Sur le sol, comme dans la chapelle latérale, d’étranges pierres tombales se détachent, griffées d’hommes-lions.
La route du Sud connaît un trafic intense — pour autant qu’il puisse l’être en Arménie. Les camions citernes iraniens y défilent, tantôt au pas de l’escargot, tantôt au triple galop, négligeant les risques à couper court et les ruches qui s’éparpillent là-haut, tandis que le désert s’estompe et que la steppe s’impose. Quelques heures encore et une nouvelle gorge se creuse, sur le chemin cabossé du plus méridional des monastères d’Arménie. Tatev, sanctuaire frontière, limite objective de la chrétienté, achève le voyage en superlatifs, en épingles à cheveux, en nids de poules encore plus grands (reste-t-il vraiment du goudron ?), en paysages vertigineux. Là-haut, sur le rebord de la falaise, le sanctuaire fortifié défie l’apesanteur. Coiffant une colonne haute de huit mètres, un joli khatchkar ajouré veille : il serait capable de prévoir les séismes, permettant d’évacuer à temps...
Texte : Claude Hervé-Bazin
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