Les îles du Salut, mémoire des bagnes

La Guyane est souvent associée dans la mémoire collective au bagne de Cayenne. Pourtant, c’est à Saint-Laurent-du-Maroni, la deuxième plus grande ville du département au bord du fleuve Maroni, et sur les îles du Salut, au large du littoral guyanais, qu’il faut aller pour découvrir ce qui reste des bagnes jadis dénoncés par le grand reporter Albert Londres dans son enquête Au bagne. Justement, c’est au large de Kourou, à une quinzaine de kilomètres seulement, qu’on aperçoit par beau temps les trois petites îles du Salut (Royale, Diable, Saint-Joseph). Ces îles, aujourd’hui propriété du Centre national d’étude spatiale (CNES), ont abrité pendant presque cent ans (1852-1947) le bagne avec un des régimes carcéraux les plus durs.

Aujourd’hui, on y accède en catamaran ou en navette à moteur, en 45 m, au départ du ponton de Kourou. Après une traversée tout en douceur, l’île Royale, la plus grande, apparaît au loin, avec sa baie des cocotiers et son eau bleue cristalline. On se croirait sur une île des Caraïbes, un vrai petit paradis posé sur l’eau. On comprend mieux les écrits d’Albert Londres qui qualifia, à l’époque du bagne, ces îles d'« enfer dans le paradis »…

L’île Royale abrite aujourd’hui le musée du bagne et d’anciens bâtiments ayant servi de prison ou d’hôpital pour les bagnards. Le catamaran accoste sur le petit débarcadère, et, en quelques enjambées, on atteint facilement l’entrée du musée, installé dans l’ancienne maison du commandant du bagne. « Les îles du Salut sont les premières îles occupées par les bagnards », explique Serge Colin, le directeur de l’établissement. Dans la salle d’exposition, des photos en noir et blanc montrent l’arrivée des bagnards sur l’île. « La plupart des peines étaient prononcées à vie, les bagnards débarquaient sans espoir de retour. Le quartier cellulaire de l’île Royale, construit entre 1892 et 1895, comptait 66 cellules », précise notre hôte. Dans une salle annexe, une exposition sur l’architecture de l’île montre le fonctionnement et l’organisation des bâtiments et de la vie à l’époque du bagne. On a encore du mal à imaginer la souffrance qu’ont pu endurer les bagnards dans ce décor de végétation luxuriante…

Plus loin, la chapelle de l’île Royale, « à la mémoire des sœurs de Saint-Paul de Chartres au service de l’Église auprès des bagnards », datant de 1852, est un monument classé historique. À l’intérieur, des fresques, peintes par le bagnard Francis Lagrange, évoquent des scènes religieuses quotidiennes sur l’île au temps du bagne. Un témoignage précieux pour la mémoire de tous les bagnards morts pendant leur captivité… Sur la terrasse de l’Auberge des îles du Salut, on aperçoit juste en face l’île du Diable, interdite au public, où fut emprisonné le capitaine Dreyfus.

Mais c’est sur l’île Saint-Joseph que l’on peut le plus s’imprégner de l’atmosphère sombre du bagne. « L’île Saint-Joseph était surnommée l’antichambre de la mort, car peu de bagnards en revenaient vivants », explique Serge Colin. C’est sur cette île, gardée aujourd’hui par un camp de la légion étrangère, que l’on trouve les ruines les mieux conservées de l’ancien quartier de la réclusion et du camp de la transportation. D’épais murs usés par le temps et de nombreuses cellules délabrées, recouvertes de racines et de plantes, se dressent au milieu de la végétation envahissante. Les ruines du bagne ont résisté aux années. Les cellules étroites, dont le toit était composé de barreaux, sont toujours là. Des bagnards célèbres ont séjourné dans les murs de ce bagne du bout du monde : « Papillon », la capitaine Dreyfus ou encore Guillaume Seznec… Autant de noms qui entretiennent la légende du bagne, ici, sur ces îles perdues au large des côtes guyanaises.

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