Sous le sable, les oeufs de tortue

Une fois la nuit tombée, la plage de Tortuguero perd ses couleurs, se débarrasse des promeneurs, et se livre toute entière à l’obscurité. Après 18 h, seules les sorties guidées sont autorisées. Les recommandations sont strictes : « Mettez des vêtements sombres. Pas de lampe torche, ni d’appareil photo. La lumière dérange les tortues », explique le guide. Un petit groupe l’entoure, partageant l’espoir d’assister au phénomène rare et émouvant que constitue la ponte nocturne des tortues marines. Une légère brise brasse l’air encore chaud.

Nuit noire. L’étroite bande de sable sombre se distingue à peine de l’Atlantique, couleur d’encre sous un ciel opaque. Seul le liseré d’écume des vagues pose une touche claire dans ce paysage monochrome. Il faut longtemps pour s’accoutumer à cette nuit profonde, rythmée par le flux et le reflux de l’océan, comme la respiration d’un énorme animal. Le guide avance d’un pas sûr, suivi d’une file indienne silencieuse et attentive. Il s’arrête à plusieurs reprises, mais reprend la marche sans piper mot. Enfin, il s’immobilise une fois de plus et, à ses pieds, les traces toutes fraîches d’une tortue apparaissent distinctement.

Elle est encore là, à la lisière du sable, en haut de la plage. Une imposante tortue verte à la carapace si massive, si antique, qu’elle semble préhistorique. Elle a fini d’enterrer ses œufs et en pond encore trois ou quatre, blancs et mous, gros comme des balles de ping-pong. Le guide chuchote qu’il s’agit de leurres, destinés à détourner l’attention de ceux qu’elle vient d’enfouir. Une fois ces derniers œufs lâchés derrière elle, la tortue entame son retour vers l’océan. Elle pousse sur ses pattes pour soulever sa lourde carapace. La première vague fait glisser la tortue vers le large, la deuxième la fait disparaître. La magie de l’instant est telle que personne ne parle. Assister à la ponte d’une tortue marine fait partie de ces expériences étranges, où l’on se sent poreux, envahi par la conscience du lien vital qui nous relie à la nature. La beauté et la fragilité de la biodiversité prennent alors tout leur sens.

La pleine lune apparaît à l’horizon, ronde comme une pièce de cuivre. Elle monte très vite s’emmitoufler dans les nuages. Des éclairs de chaleur zèbrent le ciel. La plage déserte de Tortuguero semble posée à l’extrémité du monde.

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