Manhattan, côté jardin
Des décombres aux fleurs
« Ce quartier, il y a 30 ans, c’était le Far West, se souvient
entre deux coups de bêche Bob, jardinier de la première heure et ancien squatteur.
C’était dangereux de mettre le nez dehors. » Pendant les années
70, le Lower East Side - Losaida comme l’ont surnommé ses habitants hispanophones
- est ravagé par la drogue et la criminalité. Ici et là, des immeubles brûlent,
accidentellement ou intentionnellement. Certains propriétaires peu scrupuleux
préfèrent toucher les assurances et abandonner définitivement leurs terrains
plutôt que de payer des impôts fonciers. Des habitants du quartier, dont beaucoup
d’immigrants portoricains, de squatters et d’artistes, se mettent à planter
des fleurs et de légumes dans des parcelles laissées à l’abandon.
Il faut d’abord déblayer. « Il y avait tellement d’ordures à enlever
qu’on en remplissait des chariots de supermarché. Quel travail !
», raconte en souriant Penna, portoricaine d’une soixantaine d’années qui
a participé à la création du jardin de la sixième rue et vient encore tous
les matins y boire son café. Peu à peu, des petits espaces de verdure naissent,
coincés entre de hauts murs gris. Certains ne font pas plus de 8 ou 10 mètres
de large. D’autres occupent l’emplacement de trois ou quatre immeubles. Les
enfants ont enfin des lieux où jouer en sécurité ; les adultes y passent
les soirées d’été entre voisins et cultivent avocats et tomates, figuiers
et pruniers. Les dealers sont tenus à l’écart. La municipalité laisse faire.
Elle finit par accorder aux nouveaux jardiniers des baux d’un an d’un montant
symbolique.
Texte : Chantal Dussuel
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