L'avis du spécialiste

© Rachid Amirou

Rachid Amirou est spécialiste de la psychologie sociale du tourisme.

Comment expliquez-vous que de plus en plus de Français installés et intégrés plaquent tout pour partir en voyage l'espace de six mois ou de trois ans ?

R.A. : J'explique cela par une volonté grandissante de ne plus être un personnage influencé et ballotté par les événements, et de devenir auteur de sa vie. Comme on ne peut pas l'être sur toute une vie, on se contente de l'être en pointillé. Alors on voyage. Pour se connaître, se retrouver et tout simplement pour se construire. Les gens ont besoin de sortir de la machine. J'appelle cela la quête de soi. Mais la découverte de soi et de l'autre n'est jamais complète. Et heureusement, car si la curiosité était comblée, on n'aurait plus d'appétit pour aller découvrir les autres ! Donald Winnicott, un psychanalyste anglais, disait que l'acceptation de la réalité est une tâche sans fin. Transposée dans l'expérience touristique, c'est la réalité de soi qui est une tâche sans fin.

N'y a-t-il pas une part de fuite au soleil, une difficulté à s'insérer dans le monde actuel ?

R.A. : Si bien sûr, mais cela n'explique pas tout. On a eu tendance à tout expliquer par la théorie de la compensation. On prendrait des vacances prolongées pour compenser ce que l'on n'a pas. Mais comme le disait Montaigne à propos de ses voyages : « Je ne fuis pas quelque chose, je cherche ». On a une vision misérabiliste, alors que c'est la vision socio-économique la plus juste : pour partir plusieurs années, il faut être en bonne santé, avoir déjà une bonne connaissance du monde, une culture. Les voyageurs au long cours ne fuient pas un quotidien difficile, ils partent pour vivre d'autres expériences, connaître plus de sensations. En somme, ce n'est pas un « moins-être », mais un mieux-être.

Comment la société réagit-elle face à ces éternels vacanciers ?

R.A. : La société ne culpabilise plus ceux qui ne participeraient pas à l'effort de production. Par ailleurs, comme on le voit dans les émissions de télé-réalité, la société valorise l'expression du souci de soi, de l'intimité. Ce qui fascine chez le globe-trotter, c'est l'intime mis en danger sous d'autres latitudes. Michel Tournier parle d'« extime », mélange d'intime et d'extérieur. L'expérience personnelle insolite est enviée, jalousée, plus encore que la découverte de paysages, de mœurs ou de peuplades étranges.

Comment a évolué le « globe-trotting » d'hier à aujourd'hui ?

En l'an 2005, on ne trotte pas le globe de la même manière que les anciens. Si les marchands, guerriers et explorateurs voyageaient avec une mission précise à remplir - vérifier que la terre est plate, ou carrée… -, l'ère des pérégrinations légitimes est révolue. Puisque chaque parcelle du monde a déjà été cartographiée, étudiée, sillonnée, c'est désormais à pied, à la nage ou en camping-car que l'on parcourt la terre. Besoin de trouver un prétexte ? Certainement. Comme pour masquer qu'il part pour se faire plaisir, ou pour réaliser ses rêves de gamin, le globe-trotter d'aujourd'hui s'efforce de renouveler le genre du touriste aux pieds plats. En mettant en ligne ses films, photos et carnets de route, il fait partager à ses congénères ce qu'il vit, voit et découvre au jour le jour. Grâce au village global et à la société du « tout communiquant », il dépasse donc ses maîtres. Plus qu'un simple bourlingueur, il est un professionnel de l'authentique. À l'image d'Antoine qui, depuis trente et un ans qu'il navigue autour des lagunes du monde, est devenu le porte-parole barbu des îles, l'émissaire bariolé de dame Nature, bref l'icône du voyageur ad vitam aeternam. Depuis septembre 1987, Nicolas Hulot a repris le flambeau, avec son émission « Ushuaäa Nature », digne représentante des splendeurs de ce bas-monde. Et aujourd'hui, la nouvelle génération de baroudeurs lui emboîte le pas : consécration suprême pour les Vayron, leur film Chacun son rythme vient d'être diffusé sur la chaîne Voyage. Le complexe du « non découvreur » de continents n'a plus lieu d'être. Le globe-trotter des temps modernes prend du galon : il devient l'ambassadeur du patrimoine de l'humanité.

Pour aller plus loin

À lire

Imaginaire touristique et sociabilités du voyage, de Rachid Amirou. Collection revue Sociologies.

Tourismes, touristes et sociétés, de Georges Cazes. Collection Tourismes et sociétés.

L'Idiot du voyage, de Jean-Didier Urbain. Collection Petite bibliothèque Payot.

Sur le Net

Le site du voyage musical d'Isabelle et Xavier Vayron. Vous y trouverez toutes les musiques traditionnelles qu'ils ont enregistrées au cours de leur voyage à vélo entre Paris et Pékin.

Le site de la famille Marais : quatre ans autour du monde en camping-car, et en famille !

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