Dans
la Grèce ancienne, la piraterie est condamnable entre citoyens, mais parfaitement
licite à l'égard de l'étranger. Les dieux sont cléments envers les pirates,
les transformant au pire en dauphins - l'animal favori de Poséidon, le
dieu de la mer -, car il fallait beaucoup de courage pour braver la mer
avec le peu de moyens de l'époque. Mais au fur et à mesure que s'organise
le commerce maritime, s'installe une sorte de schizophrénie à l'égard
des écumeurs des mers…
Les
fils de Poséidon
Les
cités se servaient des pirates pour affaiblir leurs ennemis et asseoir
leur pouvoir commercial, tels les Étrusques contre les colonies grecques
(VIIIe-VIIe siècle av. J.-C.). Il suffisait cependant que la croissance
des royaumes nécessite un peu de paix maritime pour qu'hommes et dieux
se détournent des aventuriers. Dès la fin du IVe siècle av. J.-C., les
Athéniens construisent une flotte importante pour se débarrasser des pirates
et instaurer une thalassocratie. Un changement s'opère alors dans la mentalité
de l'époque classique : les peuples pirates demeurent des " barbares "
ignorant l'agriculture, vivant de chasse et de pillages. La lutte contre
la piraterie se transforme en thème civilisateur majeur, repris par l'historien
Thucydide, qui considère que le progrès s'accompagne de la disparition
de la piraterie. Pourtant, Xénophon reconnaît qu'elle peut être utile
en temps de guerre. Ainsi, dès l'Antiquité, les pirates seront tantôt
poursuivis, tantôt mis au service du pouvoir. Une ambiguïté qui perdurera
et verra son apogée à l'époque des conquêtes du nouveau monde.
L'occasion
fait le larron
Les
Vitalienbrüder :
organisation pirate dans l'île de Gotland. Elle se développe dans
la mer du Nord à la du fin XIVe siècle, soutenue par les Mecklembourg
en lutte contre le Danemark. Elle s'attaque aux navires danois et
de la Hanse. Son succès est tel que tout commerce est interrompu
avec la Suède en 1392. En 1400, les chevaliers teutoniques se joignent
à la Hanse pour mettre fin à vingt années de terreur. Le géant mythique
Klaus Störtebecker, capitaine des Vitalienbrüder, est décapité avec
une centaine de comparses. Leurs têtes resteront exposées plusieurs
semaines sur la place du marché de Hambourg.
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Sous
couvert de religion, la rapine et la violence prospèrent en Méditerranée
du IVe au XIIIe siècle. Tandis que l'Empire byzantin - " bouclier
de la foi " chrétienne - pâtit de la piraterie
arabe musulmane (VIIe siècle), les républiques maritimes
de Gênes et Venise s'enrichissent, profitant de l'écoulement
des butins. En Méditerranée aux XIVe et XVe siècles,
on ne pirate plus, on pratique la " course ". Elle
devient une industrie nationale : moyen de subsistance pour les populations
pauvres, de survie économique, voire raison d'être pour les
ports et les états - et s'empare de l'Europe.
Les pirates écument la Manche, la Baltique et l'Atlantique, guettant
les navires de la ligue hanséatique (association de marchands allemands
et de l'Europe septentrionale) en route vers Bruges, Visby, Novgorod,
Bergen ou l'île du Gotland. Pour les ports exclus de la richesse
du commerce de la Hanse, la piraterie est une aubaine : chacun n'y
voit plus que son intérêt. Tout équipage, honnête
ou non, se tient prêt à lever le drapeau pirate, se moquant
des solidarités nationales et constituant une entrave intolérable
aux intérêts des nations européennes.
Les
corsaires du Roy
Face
au chaos, les armateurs de la Hanse tentent de légiférer la " course " :
Français et Anglais limitent sa légitimité aux périodes d'hostilité, sous
couvert d'une commission autorisant les pirates à " courir sus aux
ennemys du Roy " (XIVe siècle). Mais en 1485, le roi du Portugal
et le roi de France signent un accord, dans lequel les pirates sont définis
comme des gens qui " se mettent en arme pour faire la guerre sur
mer à tous ceux qu'ils rencontrent, amys ou ennemys du Roy ". Pourtant,
avec la découverte des Indes et le début du commerce des épices, les fortunes
qui courent les mers allèchent les princes, qui décident de fermer les
yeux sur les agissements des aventuriers. Et la piraterie de se séparer
en deux clans : celui des forbans, en guerre contre tout le monde,
et des corsaires, pilleurs au service du roi.
Hardis
flibustiers !
Sir
Francis Drake (1540-1596)
: né dans le Devonshire, il se taillera une grande réputation de
pirate et de corsaire dans les Caraïbes du XVIe siècle. Avec son
équipage de " cimarónes " (les anciens esclaves noirs du Panama),
son ambition était de s'emparer des trésors du Pérou. En 1573, il
s'allie au célèbre Français Le Testu et s'attaque à la colonie de
Nombre de Dios (Panama) dont il rapportera un convoi d'argent péruvien.
Il entreprend un voyage autour du monde de 1577 à 1580 par la mer
du Sud, dont l'exploit le plus retentissant sera la prise d'un vaisseau
chargé d'or et d'argent au large de Valparaiso. Lors de la reprise
des hostilités anglo-espagnoles, il prend une part importante à
la dispersion de l'Invincible Armada (1588). Il sera fait chevalier
par la reine d'Angleterre et meurt de la fièvre jaune au large de
Portobelo.
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À
la fin du XVe siècle, Colomb ouvre la voie vers le nouveau monde.
Entre 1492 et 1504, il découvre les petites et grandes Antilles
et l'île de Trinidad, puis explore le Panama, Costa Rica et le Honduras.
Le décor est posé. Portugais et Espagnols installent leurs
colonies américaines et caribéennes et l'âge d'or
de la flibuste peut commencer.
L'appel de l'or aztèque et inca fait affluer les pirates vers ces
nouvelles colonies qu'Espagne et Portugal entendent bien se garder. La
France, l'Angleterre et la Hollande, désirant une part du gâteau,
engagent des corsaires. Vers l'année 1525, les colonies espagnoles
des Grandes Antilles voient ainsi surgir ces écumeurs des mers :
simples gens du peuple ou gentilshommes en quête d'aventure, les
corsaires ne cesseront dès lors de s'y risquer. Ils s'y établiront
vers le milieu du siècle suivant, devenant ainsi, comme ils s'appelleront
en français, des " flibustiers ". Ils formèrent
bientôt des confédérations pirates, fixées
sur quelques îles des Caraïbes, comme l'île de la Tortue
(au large de Haïti), ou la Jamaïque (autour de 1660). Désunis
par les guerres, mais unis par la haine des " Madre de Dios "
(les Espagnols) - au service du roi en temps de guerre, mais à
leur propre service en temps de paix - pirates et corsaires anglais, hollandais
et français sèmeront la terreur dans les Caraïbes et
joueront un rôle essentiel dans l'histoire de la colonisation des
Antilles et des Amériques.
Les
forbans prennent le large
Menacés
sur mer, les flibustiers se tournent vers les " cités de l'or " :
Maracaibo, Veracruz et Carthagène seront pillées, rançonnées et réduites
en cendres plusieurs fois (à la fin du XVIème siècle et au XVIIe siècle).
Mais ces expéditions causent de lourdes pertes parmi les équipages corsaires,
pourtant menés par d'excellents chefs de guerre tels que Morgan et l'Olonnois.
Ils succombent en outre à la fièvre jaune, à la malaria ou finissent découpés
par les Indiens. Sans compter que le vent tourne et que les royaumes ne
mettent plus que rarement les flibustiers à contribution. L'âge d'or de
la flibuste touche à sa fin, mais la piraterie subsiste.
Les
flibustiers n'opéraient que dans les Caraïbes, mais les " princes
de la mer " sont de tous les océans. Ils étendent leurs réseaux de
contrebande toujours plus loin : des Caraïbes aux mers du Sud, le
cercle compte au moins 5 000 forbans, pour les trois quarts anglo-américains.
Intrépides, ils traversent l'Atlantique, doublent le cap de Bonne-Espérance,
remontent vers la mer Rouge, le golfe Persique et la côte de Malabar.
Ils établissent de nouvelles bases dans l'océan Indien et s'attaquent
aux bateaux persans, arabes et indiens. L'apogée de cette piraterie expansionniste
se situe entre 1716 et 1718. Mais le XVIIIe assiste aussi à un véritable
essor des marines de guerre européennes, mettant un terme rapide à la
piraterie. Les écrivains s'emparent du mythe…
Sir
Henry Morgan (1635-1688)
: originaire du Pays de Galles, il s'installe à la Jamaïque après
sa conquête par les Anglais et devient corsaire à l'occasion des
raids de Myngs (1662-1663). Il prend Campeche, puis pille Villahermosa,
Tabasco et Granada (Mexique). En 1670, il réunit une flotte importante
de corsaires sur l'île à Vache et se rend maître de Panama et de
Maracaibo. Mais Morgan met les voiles avec une part trop importante
du butin selon ses flibustiers. Arrivé à la Jamaïque, la paix est
signée entre l'Espagne et l'Angleterre, et il est arrêté. Sa fortune
lui permettra cependant de se racheter aux yeux de la couronne anglaise :
il sera nommé gouverneur de la Jamaïque avec la mission d'en chasser
les pirates et les flibustiers, et fait chevalier en 1674. Il finira
paisiblement ses jours dans l'île.
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Illustrations
:
Teuta, reine des pirates illyriens, © Musée national de la Marine ;
Sir Francis Drake, © Photothèque Hachette ;
"Morgan le flibustier", in Histoire des marins, pirates et corsaires
de l'Océan et de la Méditerranée d' Alexandre Debelle,
© Musée national de la Marine / A. Fux
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