Escale au cœur de l'Équateur caché

« Un train qui roule, la vie s'écoule » : Apollinaire avait vu juste. À mesure que le train s'enfonce au cœur de la Sierra, au rythme de 50 km/h, nous découvrons çà et là des scènes de la vie quotidienne de cet Équateur caché. Le long des innombrables cours d'eau, les femmes sont en train de laver le linge et de l'étendre sur l'herbe verte afin qu'il sèche. D'où un éclatant kaléidoscope de tâches multicolores. Plus loin, d'autres Indiennes filent la laine, ou gardent le troupeau, un enfant solidement accroché sur leur dos grâce à un tissu. Une tendresse et une solidarité certainement à l'origine de la série de tableaux Madres y Niños signée Guayasamin, le célèbre peintre équatorien. À notre passage, tous sans exception interrompent net leur activité. Le sourire aux lèvres et des étincelles dans les yeux, chacun ôte alors son chapeau pour nous saluer. Pour rien au monde ils ne manqueraient l'événement de la semaine : le train, vecteur de tous leurs rêves ! Quant aux enfants, leur grand jeu consiste à faire la course avec nous. Et les chiens ont vite fait de leur emboîter le pas, dans un jappement festif. Décidément, cet « étrange peuple, qui vit dans la pauvreté sur des montagnes d'or et s'endort tranquille aux pieds des volcans », comme l'écrivait Eduardo Galeano, respire la gaieté plus que tout autre. Et leur costume bigarré complète à merveille ce patchwork de couleurs dont nous nous régalons. Les derniers rayons du soleil viennent lécher les collines tapissées de champs, formant ainsi une formidable mosaïque naturelle. La lumière de cette fin d'après-midi me rappelle celle de Nouvelle-Zélande : pureté des couleurs, velouté des contours, harmonie des teintes… Lorsque soudain, au détour d'un vallon, apparaît devant nous, au loin, un géant de glace et de roches : « Taïta » Chimborazo ! Le train semble foncer sur ce majestueux volcan, chapeauté d'un dôme immaculé de neiges éternelles. Comment ne pas se sentir infinitésimal face à ces 6 310 m de force tranquille… Le froid hivernal tombe à présent sur la cordillère. Toujours perchés dans les airs, désormais emmitouflés, nous affrontons tant bien que mal le vent des Andes qui cingle le visage. Il serait temps que Riobamba, notre ultime escale, pointe le bout de son nez ! Derniers virages, derniers coups d'œil aériens, derniers grincements. Le train pénètre en fanfare dans la ville. La circulation s'arrête à notre passage, les passants mi-amusés mi-ébahis nous dévisagent. Nous ne sommes plus que des spectres glacés et poussiéreux, des revenants d'un voyage au cœur des Andes. Nous n'oublierons pas.

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