Embarquement pour le petit train des Andes
Une prouesse technologique chargée d'histoire
Première côte et premières difficultés : notre train s'emballe, perd de la vitesse, se hisse tel Prométhée, et s'engouffre au cœur de la montagne, brinquebalant mais victorieux, pour notre plus grand bonheur. Le vent dans les cheveux, hurlant pour nous entendre, nous nous agrippons avec délice, l'arrière-train bien calé sur un coussin (généreusement loué 0,50 US$). Heureusement que nos gros sacs à dos ont pris place à l'intérieur des wagons, sans quoi les soubresauts perpétuels et les inclinaisons du wagon les auraient propulsés par-dessus bord ! À côté de nous, deux aiguilleurs s'épuisent en grands gestes, pour signaler du bras droit un obstacle sur la voie (souvent une vache, un enfant ou un vélo), et du bras gauche une manœuvre à effectuer ou une défaillance des rails. Et ce langage codé, à l'ancienne, s'avère parfaitement efficace ! Quant au contrôleur, il s'amuse à rester debout sur le toit, défiant les lois de l'équilibre, s'arc-boutant parfois pour éviter les fils électriques et les branches d'arbres. Alors que le train grignote des kilomètres, zigzaguant dans un paysage splendide de roches, de canyons et de falaises, je prends pleinement conscience de la prouesse technique qu'incarne ce train. Quand on pense que sur les cinq mille travailleurs noirs que le Général Alfero a fait venir de Jamaïque, pas moins de trois mille hommes sont morts dans la nariz del diablo (la narine du diable) ! Ils dynamitaient jour et nuit la montagne, avant de poser les rails à la main. « Un travail de forcené, un exploit », me raconte plein de fierté et d'émotion José Luis, conducteur du petit train des Andes depuis dix-sept ans. Notre tortillard poursuit inlassablement sa course folle, à grands renforts de klaxon, afin d'écarter de sa mécanique meurtrière ânes, lamas et autres cochons sauvages errants. Nous enjambons des rivières sur d'étroits ponts de bois aux lattes mal ajustées. Frissons garantis… Cerise sur le gâteau, le train s'apprête à passer au beau milieu d'une route à trois voies. Au diable les barrières et les feux : la locomotive déboule dans un tel crissement de freins que les voitures s'arrêtent net, à distance respectueuse de notre machine infernale ! Puis nous traversons de vieilles gares d'altitude gagnées par les herbes folles. Hier encore aux premières loges d'un ballet quotidien de vingt convois, ces estaciones ne ressemblent plus qu'à des théâtres muets, réduits au silence. C'est el Niño, « le Petit » en espagnol, qui a mit fin à la grande époque. Sur son passage, en 1998, un pan entier de la montagne s'effondre sur la voie, six kilomètres après la narine du diable. Depuis, la ligne qui relie Quito au nord à Guayaquil au sud se détériore sans que le gouvernement ne réagisse.
Préparez votre voyage avec nos partenairesTexte : Laure de Charette
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