En descendant l'Amazone

Manaus, ville des rêves fiévreux

Manaus, ville des rêves fiévreux
Olivier Page

« Manaus est hanté par tous les rêves fiévreux qui (…) depuis Orellana (…) ont traversé les ombres de cette forêt, la plus immense des forêts tropicales du monde ». L'écrivain américain John Dos Passos (d'origine portugaise par son père) séjourna à Manaus en 1962. Il évoque cette ville dans Le Brésil en marche, la décrivant comme habitée par d'étranges fantômes. « À Manaus, les récits d'échec devant la forêt tropicale hantent tous les coins de rue. L'histoire de la ville elle-même est faite de plans superbes ayant tourné court ».
L'idée de Goodyear de traiter le latex brut à l'aide du soufre, l'invention de la vulcanisation par Hancock en 1844, puis celle du pneu en caoutchouc par Dunlop en 1887, contribuèrent à donner un essor incroyable à la croissance industrielle. Le monde moderne avait besoin de caoutchouc pour rouler à bicyclette ou en automobile. La demande mondiale augmenta de manière vertigineuse. Où trouver des hévéas (les arbres à latex) sinon au Brésil, et dans le bassin amazonien en particulier ?

Située au cœur de la plus importante région productrice de latex, Manaus devint ainsi la capitale du caoutchouc, l'entrepôt des richesses de l'Amazonie, le centre d'une expansion économique fulgurante. Les barons du caoutchouc enrichis grâce à l'or vert roulaient carrosse et écoutaient des opéras italiens dans les fauteuils en velours rouge d'un théâtre jailli de la jungle. C'était l'âge d'or de Manaus, l'argent y coulait à flots.

Des demeures somptueuses sortaient de terre. On importait presque tout d'Europe : lustres en cristal de Bohême, marbre de Carrare, meubles de Paris, costumes trois-pièces et robes de Londres, même les statues des jardins publics étaient fondues en Écosse. En ville : éclairage au gaz, tramway, baignoire et toilettes dans toutes les chambres, domestiques, calèches et soirées luxueuses où les magnats allumaient leurs cigares de Cuba sur la flamme d'un billet de banque. À l'époque, le boulevard principal de Manaus commençait au bord du fleuve et finissait dans la forêt tropicale.

L'Amazonie fournira au moins la moitié de la production mondiale de caoutchouc jusqu'en 1900 et bien davantage en 1910. Vers 1915, cette euphorie cesse soudain. Sous l'effet de la concurrence du caoutchouc anglais de Malaisie, le boom s'épuise, la fête éteint ses feux, le robinet d'or vert se ferme. Manaus entre dans un cycle de déclin.

Je sirote un verre de jus d'orange à la Casa do Pensador, une vieille maison datant de cette époque du boom, à l'ombre du fameux opéra. Après des années d'abandon, les belles demeures de la ville retrouvent leur splendeur oubliée, histoire de garder la mémoire et de la transmettre aux jeunes générations. On repeint les façades à colonnes, on restaure les vérandas, on réhabilite les intérieurs des demeures, splendides vestiges d'une époque révolue. Une grande banlieue ceinture la capitale de l'État d'Amazonas, un des plus riches du Brésil par habitant. Des voitures partout et même des embouteillages, mais moins de pauvreté que dans les autres villes du Brésil, moins d'insécurité aussi.

Au théâtre de Manaus, un soir, j'ai la chance d'assister à la projection du film A Selva, réalisé par le cinéaste Leonel Viera, adaptation à l'écran du roman Forêt vierge, du portugais Ferreira de Castro (les Cahiers Rouges, Éditions Grasset, 1938, réédité en 1998). Bien que peu connu du grand public, ce beau livre, sombre et réaliste, fut publié en 1930 à Lisbonne, sous le titre A Selva. Traduit en français par Blaise Cendrars, sur la recommandation de Stefan Zweig, il raconte la vie d'un jeune migrant portugais, seul et sans le sou, qui tente sa chance dans les années 1900, au sein d'une plantation de caoutchouc d'Amazonie, quand celle-ci apparaissait aux yeux de cohortes de migrants comme un lointain Eldorado.

Le paradis des origines du monde dévoile vite son vrai visage : l'enfer vert ! Ennui et monotonie, climat terrible, chaleur étouffante, conditions de vie et de travail épouvantables, hostilité des Indiens à l'égard des colons. « L'Amazonie ronge l'âme » de ceux qui ne se soumettent pas à sa loi cachée, mais elle inspire des pages magnifiques à Ferreira de Castro.

Préparez votre voyage avec nos partenaires

Texte : Olivier Page

Mise en ligne :

Les idées week-ends, les derniers reportages

Voyage Brésil

Bons plans voyage
Brésil

 Dès 2900 € 
AUTOTOURS
Le Brésil comme vous l'imaginez
 Dès 3170 € 
VOYAGES SUR MESURE
Les joyaux du Brésil - 16J/15N
VOLS
Réservez vos billets d'avion sereinement

Services voyage