En Ukraine, dans les pas de Balzac et de Conrad

Les ombres de Vassili Grossman et Vladimir Horowitz

Les ombres de Vassili Grossman et Vladimir Horowitz
Olivier Page

La chaleur du début de l’été nous conduit à faire une pause à l’ombre de l’église Sainte-Barbe à Berditchev, où en mars 1850 Balzac épousa son égérie, Madame Hanska. C’est un long édifice de couleur rose, sans vrai clocher, mais avec volutes et fronton. Sur la façade est, près du porche d’entrée, j’aperçois une sculpture en plâtre blanc sur marbre noir, fixée au mur. Elle représente Balzac de profil, avec sa moustache et ses longs cheveux.

Je questionne le curé de cette paroisse de rite catholique et romain. Il ne sait pas si Joseph Conrad y a été baptisé. Il en doute. Certains spécialistes affirment qu’il aurait été baptisé plutôt dans l’église du couvent des Carmélites de cette même ville. Peu importe en vérité. Le plus étonnant et le plus émouvant dans cette ville de Berditchev ne réside-t-il pas dans la rencontre inattendue de ces grands noms, Balzac et Conrad ?

À ces deux-là, il convient d’ajouter l’auteur russe Vassili Grossman (1905-1964), auteur d’un livre considéré comme un chef-d’œuvre de la littérature russe : Vie et Destin, qui serait le Guerre et Paix du XXe siècle. Né à Berditchev, dans une famille juive ukrainienne assimilée (et détachée des traditions religieuses), il fut un des premiers journalistes de l’Armée rouge à pénétrer dans les camps de concentration nazis après la guerre et à témoigner de l’horreur.

Dans la vieille communauté juive de cette ville, il y avait la famille de Vladimir Horowitz, né à Berditchev, le 1er octobre 1903 (mais d’autres disent qu’il serait né à Kiev). Ce pianiste virtuose, issu d’un milieu bourgeois de la société ukrainienne cultivée, apprit le piano à 5 ans, et donna son premier concert à Kiev à l’âge de 17 ans. Menacé par l’expansion du nazisme et de l’antisémitisme en Europe, il émigra en 1939 à New York (il y est mort en 1989). Musicien de génie, de renommée mondiale, il a été surnommé « l’ouragan des steppes ». Il est classé parmi les plus grands pianistes du XXe siècle, pour ses interprétations magistrales de Liszt, Chopin et Rachmaninov.

Avant 1939, la population de Berditchev comptait environ un tiers de Juifs. En 1945, après le génocide perpétré par les Nazis en Ukraine…, il ne restait plus un seul Juif vivant. Comment vivre et survivre moralement à une telle tragédie ? « L’esprit souffle où il veut, quand il veut », certes, mais le jour où les Nazis sont entrés dans Berditchev, l’esprit s’est bel et bien arrêté de souffler, pour laisser la barbarie se répandre.

Rendons donc hommage à ces gens simples et à ces génies disparus, terminons maintenant cette chronique voyageuse. Laissons nous porter seulement par le prélude en C mineur de Rachmaninov, le grand ami d’Horowitz. La littérature et la musique peuvent aussi servir d’offrandes dédiées à ceux qui ne sont plus là. Pourra-t-on un jour interdire aux champs de blé d’onduler sous l’effet du vent de la steppe ou empêcher les notes divines de grimper vers le ciel de l’été ukrainien ?

Texte : Olivier Page

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