Portobelo

Portobelo est un petit village au bord de l'eau, épargné par les touristes. Un village tranquille de pêcheurs, mais pas un lieu sans histoire. Ce fut longtemps un des ports les plus importants d'Amérique centrale et beaucoup de marchandises précieuses ont transité par ce lieu. Ce port très riche a attisé la convoitise des pirates qui l'ont souvent attaqué. Portobelo a, depuis cette époque, beaucoup perdu de sa splendeur, mais on peut toujours visiter les forts qui donnent sur la baie. De vieux canons rouillés sont toujours pointés vers l'horizon bleu azur. Tous les ingrédients des films de pirates sont là : la mer des Caraïbes, les forteresses, les chemins qui mènent en haut des collines d'où la vue porte très loin, la végétation luxuriante…

Le premier soir à Portobelo, les Allemandes ont trouvé une chambre pas chère. Il n'y a pas beaucoup d'hôtels dans ce village. La chambre qui reste est assez chère. Dennis me dit : « Tu dormiras avec nous sur le bateau… ». Nous sommes dans l'un des bars de Portobelo. Un ami américain de Dennis est là. Il habite dans la région. Dennis aligne les bières locales sur la table et s'exclame : « Quand on pense au prix qu'une seule de ces bières coûte aux États-Unis, c'est incroyable ! ».

Un peu plus tard, alors que les Allemandes sont parties se coucher, je me retrouve sur le voilier avec mes nouveaux compagnons de voyage. Le Valhalla, c'est le nom de ce bateau long de plus de 10 m, est un très beau navire. Même la nuit, il est impressionnant. Dennis sort la bouteille de rhum, le jus d'orange et les glaçons et m'explique que ce bateau ne lui appartient pas. Le propriétaire s'appelle Bill. C'est un ami de Dennis et de Dina. « Le pauvre est en train de mourir dans une clinique privée de Tijuana… Le cancer… J'aimerais que Dina aille au Mexique pour accompagner ses derniers jours, mais c'est pas facile pour une Colombienne d'aller là-bas… ». L'alcool déliant les langues, je me retrouve plongé dans un monde dont j'ignorais tout, un monde intrigant, point de croisement des riches gringos et des belles Colombiennes sans le sou.

Il y a quelques semaines, dans le bar du Yacht Club de Cartagena, un ami de Dennis s'est fait tirer dessus par sa petite amie colombienne. « Il pissait le sang, c'est moi qui l'ai sorti du bar. J'ai arrêté un taxi, mais il ne voulait pas nous prendre pour pas ne pas salir les sièges. J'ai dû lui mettre sous le nez un poignée de dollars pour qu'il accepte. Mon ami est tiré d'affaire, mais il est toujours à l'hôpital. Sa copine ne semble pas avoir été inquiétée et c'est à moi que les flics américains dépêchés sur place veulent parler… ».

Dina, à l'évocation de cette histoire, fond en larmes. Deux de ses doigts forment le canon d'un revolver, elle revit la tentative d'assassinat, puis elle crie : « Je ne veux pas mourir, je ne veux pas retourner là-bas ! ». Le bateau tangue doucement dans l'obscurité, des lumières brillent sur la côte, les derniers échos d'une musique entraînante viennent mourir près de nous. Je ne peux pas m'empêcher de me demander dans quelle histoire j'ai foutu les pieds. Je sens bien que je ne suis pas au bout de mes surprises. Mais je sais que j'aime ce genre d'histoires et que je voyage aussi pour ça, pour ces rencontres improbables, ces moments où vous vous retrouvez plongé dans un autre monde, un monde qui fonctionne selon des lois dont vous ignorez tout.

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