Cherbourg
Xavier Le Frapper

J'aime les ports. Je les ai toujours aimés. Ouverts sur l'océan. Ouverts aux vents, aux voyageurs et aux marins. Ouverts sur l'ailleurs. Je crois que la géographie influe sur la psychologie des hommes. L'espace russe immense a eu pour conséquence le nihilisme. On peut voyager des jours et des jours sans que rien ne change. À quoi bon agir ? En France, pays de la contestation, le paysage est d'une grande diversité. Une amie me faisait remarquer un jour, aux pieds d'un mont du sud-ouest de l'Irlande, que la taille des montagnes du Péloponnèse explique le fait que les Grecs aient tant eu le goût des exploits et des épopées. On se prend facilement pour un dieu quand on arrive si vite aux sommets. Cela rend ambitieux. La psychologie humaine n'est pas indépendante de l'environnement géographique. Les ports, eux aussi, j'en suis certain, produisent un état d'esprit particulier. À chaque fois, en tout cas, que j'entre dans un port, je me sens mieux, moins oppressé, comme lorsque que j'ouvre les fenêtres d'une pièce où j'étouffais, sur un jardin où souffle une légère brise. Dans ma famille, il y avait des paysans et des marins. Je crois que je n'ai rien conservé des premiers et surtout pas leur attachement à la propriété terrienne. Ils se méfient des changements, des nouveautés : la nature qui les nourrit est l'élément de l'éternel recommencement, du retour infini des mêmes saisons. Sans la régularité, ils ne pourraient exister. Leur travail est lent et laborieux. Ils doivent apprendre la patience. Par tempérament, j'ai toujours préféré les marins et les récits qu'ils faisaient quand ils rentraient de voyage. Un marin a une femme dans chaque port, dit le dicton. Adolescent, cet adage a éveillé en moi des rêveries peuplées de romances. Les marins sont connus pour la ripaille, la fête et les soirées aux bordels. Je sais par une expérience qu'une partie de ce mythe est vraie. Leur élément, la mer, est dangereux et instable. Ils ne savent jamais, en partant, si la mer sera d'huile ou déchaînée. Elle est impitoyable aussi et je connais des veuves qui ont élevé seules leurs enfants. L'océan leur avait pris leurs maris, leurs pères, leurs fils. La terre, elle, ne prend que ce qui est déjà mort. Mais l'homme aime le risque et si l'océan est sublime, comme l'a fait remarquer Kant, c'est parce qu'il peut engloutir les petits êtres que nous sommes, les détruire, les faire disparaître en lui. Le sublime est dangereux et indomptable. Cherbourg n'avait pas sorti ses parapluies, quand j'y pénétrai en début de soirée. Le ciel était bleu et nuageux, l'air frais et agréable. Les mouettes m'ont tout de suite rendu l'endroit accueillant. J'avais rendez-vous chez un vieil ami, Jacques, que je connais depuis toujours. Il travaille sur le ferry qui relie la France à l'Angleterre. Il passe une semaine en mer et une semaine à terre. L'hiver, quand le navire est à quai, il s'envole pour des destinations exotiques. Son père était marin et leur maison remplie de souvenirs de voyages, de tableaux, de statues, de masques africains et de photographies. Nous avons été élevés par les mêmes femmes dans une maison qui était située face à l'océan Atlantique. Les jours de tempête, nous rêvions que nous étions dans un bateau de pirates, embarqués clandestins pour un long voyage vers des destinations lointaines. La maison craquait de partout et la pluie venait cingler les vitres. L'océan, que l'on apercevait au-delà des dunes, était une masse, grise et blanche, informe. On ne pouvait distinguer le ciel de l'océan. Jacques m'a guidé dans Cherbourg et ses bars à marins. Le serveur du Drakar Noir a gueulé contre les voileux, les champions des courses en solitaire ou en équipage. Il nous a dit : " Ils se croient tout permis, prioritaires sur les autres clients… On s'en passerait bien… il faut les voir avec leur cour de minettes… ". Je les imaginais plutôt sains, ces marins aux cheveux délavés par le soleil, à la peau tannée par les embruns salés, rendus humbles par la confrontation avec les éléments déchaînés. Nous avons croisé beaucoup d'Anglais lors de notre périple nocturne et quelques routiers qui venaient prendre le bateau pour se rendre en Angleterre ou en Irlande. Le lendemain, j'ai rencontré de jeunes Anglaises qui avaient fait la traversée pour passer une seule journée en France. La traversée ne leur coûtait que 1 £. Ça les dépaysait pour pas cher. Jacques m'a raconté la vie à bord des ferries : les clients, les fêtes, les hôtesses, etc. C'est un univers à part qu'il m'a décrit. On pourrait en écrire des livres sur le sujet. Des livres pleins de vies et d'expériences humaines. Les lieux confinés sont propices aux tensions et aux grandes décharges d'énergie. Les personnalités se révèlent. Comme lors d'un voyage.

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Texte : Xavier Le Frapper

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